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les 4,000 rameurs qui furent chargés d’imprimer le mouvement au colosse ? Sur un pont long de 130 mètres environ et large de 18 entre les deux chemins latéraux, avec des rames garnies de plomb à la poignée, rames dont la longueur dépassait 17 mètres, la solution la plus simple est naturellement celle qui se présente la première à l’esprit : cent avirons de chaque bord espacés de 1 mètre et 20 hommes sur chaque aviron, dix placés en avant, dix rangés en arrière, fournissent, à un homme près, le complet emploi de la chiourme ; il ne nous reste plus qu’à distribuer sur le catastroma, sorte de spar-deck qui s’étendait d’une extrémité à l’autre du navire au-dessus de la vogue, les 400 matelots qui manœuvreront les voiles et les ancres, et les 2.850 épibates qui n’auront à se préoccuper que du combat. Sous les bancs se tiendra encore, au dire de Callixène, « une troupe assez considérable, » dont l’office consiste à tirer les vivres de la cale pour les distribuer aux rameurs. Je reconnais là les non-combattans affectés de nos jours au passage des poudres.

Un équipage de près de 8,000 hommes ! verrons-nous jamais sur nos villes flottantes population semblable ? Du sommet de l’acrostolion de proue à la mer, ce Léviathan mesurait plus de 22 mètres ; il en comptait près de 24 1/2, des aphlastes de la poupe à la flottaison : pour consolider sa charpente, on l’avait entourée de douze énormes préceintes mesurant chacune 277 mètres environ de circuit. Des figures de 5 et 6 mètres de haut décoraient l’avant et l’arrière. Je ne vois guère que les grands cuirassés italiens, le Duilio, le Dandolo, l’Italia et le Lepanto, que l’on puisse comparer au vaisseau de Ptolémée, et encore ! Le Great-Eastern lui-même, ce monstre dont le déplacement dépasse 27,000 tonneaux et près duquel les navires à vapeur ordinaires passeront comme des pygmées, n’aurait pas, sans être obligé de les serrer un peu, recelé dans son sein les êrètes et les épibates de la tessaracontère. Le navire égyptien eût pu à la rigueur se passer d’éperon ; sa masse lui suffisait pour écraser une flotte ; on le hérissa néanmoins de sept rostres, énormes dents de fer qui garnirent tout l’avant à partir des épotides et présentèrent au centre, encastré sur l’étrave, un dernier dard plus long que les six autres, destiné à percer la carène ennemie. Ce qu’il entra de bois dans ce vaisseau se devine aisément, quand on songe que la construction seule du ber qui servit à le lancer exigea plus de matériaux qu’il n’en eût fallu pour bâtir cinquante quinquérèmes.

Si solide que soit \me, carrène, elle n’en reste pas moins soumise à un prompt dépérissement, et, pour la réparer, il faut de toute nécessité la replacer dans les conditions où elle se trouvait avant