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plus puissantes nations, de ce qu’a fait l’Angleterre depuis 1815, de ce qu’ont fait les États-Unis depuis la guerre de la sécession et de ce qu’ils font encore. Au lieu d’éteindre la dette, on a déchaîné les dépenses, si bien qu’on en est aujourd’hui non plus à 4 milliards : jugés d’abord nécessaires pour l’exécution du plan de M. de Freycinet, mais à une prévision de 9 milliards ! La politique républicaine, en un mot, semble avoir consisté à abuser de la prospérité et des plus-values, à se servir de l’emprunt, en même temps que, d’un autre côté, elle se faisait un jeu d’inquiéter le crédit par des propositions chimériques, par des menaces de rachat des chemins de fer. Qu’en est-il résulté ? C’est qu’à la fin tous les ressorts de la puissance financière se sont fatigués. Le crédit de l’état s’est senti plus ou moins atteint, puisqu’il a incontestablement fléchi depuis quelques années. Le mouvement de prospérité s’est ralenti ; les excédens ont commencé à décroître, les déficits ont reparu dans le budget, et après le plus prodigieux essor de richesse la gêne s’est manifestée de nouveau dans les finances publiques.

Lorsque M. Léon Say arrivait au pouvoir aux premiers mois de l’année, il avait devant les yeux cette situation, et, dans la pensée d’arrêter les progrès du mal, il avait mis comme condition de son entrée aux affaires qu’il n’y aurait « ni emprunt, ni conversion, ni rachat des chemins de fer. » L’objet évident de sa politique financière était de rassurer le crédit, de raviver une certaine confiance en commençant par fermer, pour ainsi dire, la boîte aux surprises et en cherchant ensuite par une série de procédés ingénieux à remettre la vérité et l’équilibre dans le budget ordinaire. Il ne voulait pas, d’un autre côté, suspendre tout à coup les travaux inscrits au budget extraordinaire et alimenté par des ressources d’emprunt ; mais pour ces travaux il ne voulait recourir ni à des émissions nouvelles de rente ni à des emprunts à la dette flottante. Il croyait pouvoir suffire à tout par des combinaisons particulières, et une de ces combinaisons, la principale, était une convention par laquelle la compagnie d’Orléans s’engageait à un remboursement considérable. Cette œuvre financière de M. Léon Say, qui était devenue l’œuvre de la commission du budget et de son habile rapporteur, M. Ribot, elle avait été chaudement discutée dans la chambre ; elle était sortie victorieuse de la discussion et, au mois de juillet, elle était même à peu près adoptée dans ses principes essentiels. Là-dessus arrive au 7 août un nouveau ministre des finances, M. Tirard. Au premier abord, le nouveau ministre a une mission bien facile : il trouve une œuvre toute prête, déjà plus qu’à demi acceptée, il n’a qu’à demander à la chambre de la sanctionner jusqu’au bout. Pas du tout, M. Tirard a des scrupules ; il accepte le budget ordinaire de M. Léon Say, il n’accepte pas le budget extraordinaire, ou du moins il finit par renoncer à la convention avec la compagnie d’Orléans, — et pourquoi