Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 54.djvu/470

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Un petit feu qui furette
Dessous sa peau tendrelette,


qui gâte vraiment le morceau, et c’est dommage, car le mouvement est d’un poète, et pour soutenir peut-être la comparaison avec l’original, il n’y manquerait enfin à la passion que d’être d’un amant[1].

Il faut bien en venir à ce dernier trait qui, maintenant que l’on a vu les analogies, mesure la distance qui sépare Catulle de nos poètes du XVIe siècle : les autres ont chanté, le poète de Vérone a aimé. C’est ce qui explique, en même temps, qu’il en demeure une partie toujours traduisible et éternellement imitable, comme étant éternellement humaine, mais une partie seulement.

Catulle n’est pas proprement ce que l’on peut appeler un grand poète, et pour ma part, je suis si loin, comme on l’a fait quelquefois, de le mettre au rang d’un Lucrèce ou d’un Virgile, que, si je conviens qu’il est fort au-dessus d’Ovide, et d’une race d’hommes assurément plus saine, plus robuste, plus virile, mais non pas plus aimable que l’élégant Tibulle, il le cède au moins en plus d’un point à Properce. Homme d’esprit, homme du monde, si tant est que ce mot ait un sens à Rome, savant dans son art, dont il eut le culte et presque la superstition, imitateur habile des alexandrins, traducteur heureux, il n’a eu du vraiment grand poète, — ni cette maîtrise dont la supériorité même, dédaigneuse du tour de force, met à dissimuler l’art le triomphe même de l’art, — ni ces grandes ambitions dont la témérité généreuse, à défaut d’un de Natura rerum ou d’une Enéide, peut rencontrer encore une Pharsale, — ni le souffle enfin, ce souffle qui vivifie les belles odes d’Horace et qui respire encore dans les Élégies romaines de Properce. Les épigrammes de Catulle, purgées des obscénités qui les déshonorent, auraient-elles pu suffire à nous conserver son nom ? J’ose en douter. Ses madrigaux, — car de quel autre mot pourrais-je mieux caractériser les petites pièces dont le Moineau de Lesbie, s’il n’en est pas le chef-d’œuvre, est le modèle au moins le plus vanté ? — ses madrigaux sont-ils beaucoup au-dessus de certains madrigaux ou sonnets de Voiture, si ce n’est qu’on y doit louer plus de naturel et de franchise dans la galanterie ? Et quant à ses poèmes plus considérables, dont nous avons déjà rappelé les titres, que l’on prenne la Chevelure de Bérénice ou l’Épithalame de Thétis et Pelée, outre qu’ils sont d’une facture

  1. La plupart de ces citations sont tirées du recueil en trois volumes publié par M. L. Becq de Fouquières à la librairie Charpentier. Poésies choisies de Baïf, 1874, Œuvres choisies de Joachim du Bellay, 1876. Œuvres choisies des poètes français du XVIe siècle. Voyez aussi Sainte-Beuve : Tableau de la poésie française, dont on devrait bien nous donner une bonne et belle édition, plus digne du livre et plus digne de Sainte-Beuve.