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négocians allumaient tous les becs et ouvraient le robinet du compteur ; sans cela, leurs boutiques auraient en l’air de sombres cavernes. Les fabricans de gaz, qui vendent un produit d’un usage si commode, qui possèdent un outillage tout prêt et qui peuvent si facilement baisser leurs prix, n’ont point à s’inquiéter. L’électricité ne les ruinera pas plus qu’ils n’ont ruiné les marchands d’huile. En tout cas, la ville n’est point chargée de leurs intérêts, et la ville a sagement réservé sa liberté pour le cas où une invention imprévue viendrait bouleverser l’industrie de l’éclairage.

On voit que le monopole est assez restreint et, quoique le système soit généralement mauvais, il faut bien convenir qu’une pareille industrie ne peut pas se passer de monopole. Imagine-t-on plusieurs sociétés rivales ayant le droit d’enlever les pavés et de creuser des tranchées pour poser ou réparer leurs conduites ? Les rues de Paris seraient constamment barrées. Il faut choisir entre deux systèmes : la concession d’un monopole ou la régie municipale, qui est un vrai monopole.

La régie municipale a de très chauds partisans. Elle est adoptée dans un certain nombre de grandes villes anglaises, à Manchester, par exemple, dans la plupart des villes de Hollande et dans quelques villes de Belgique. Bruxelles a une régie : l’usine municipale. construite il y a quelques années à Laecken, fournit par an 20 millions de mètres cubes vendus 20 centimes le mètre. Les échevins et les conseillers communaux sont les administrateurs. J’ai eu l’honneur d’entretenir quelques-uns de ces magistrats, M. le bourgmestre Buis, M. l’échevin Walravens, M. le conseiller Richald, qui ont particulièrement étudié la question du gaz et sont très satisfaits du système de la régie. Sans trop m’arrêter aux salles de leur splendide hôtel de ville, aux plafonds de vieille boiserie, aux murailles revêtues d’inestimables tapisseries flamandes, j’ai été visiter les cornues municipales et les gazomètres publics, qui inspirent une autre sorte d’admiration. La régie donne à la ville la totalité des bénéfices : c’est le grand argument des défenseurs de ce système. Cet argument pourrait s’appliquer à toutes les industries et à toutes les entreprises, et cependant les municipalités se trouvent généralement bien de concéder leurs travaux à des entrepreneurs. Le service que rend l’entrepreneur est quelquefois chèrement rétribué : cependant il n’est pas prouvé qu’on ait avantage à se passer de lui. L’état ou la commune ne fabriquent pas à bon compte. Ils ne peuvent pas chercher les petites économies, saisir les petits progrès, négocier les marchés avec l’âpreté d’un entrepreneur. La ville de Bruxelles elle-même n’a pas pu songer à distiller ses goudrons et à se lancer dans la fabrication compliquée des