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concours trop irrégulier et trop indépendant pour satisfaire à un service national. Des particuliers voulussent-ils s’engager à fournir à tous les besoins, comme ils n’en peuvent prévoir l’étendue, ils joueraient un jeu dont l’état paierait les mauvaises chances, car leur ruine et la rupture du contrat ne lui rendraient pas le temps perdu. S’il voulait s’assurer contre de telles lenteurs, il serait obligé de solder l’entretien permanent d’un personnel occupé seulement à attendre l’inconnu. Ce ne serait plus s’adresser aux ressources naturelles du commerce, mais peupler de la manière la plus dispendieuse les ports marchands de travailleurs payés par l’état. Encore les paierait-il sans les diriger ; or il n’y a d’action rapide que l’action disciplinée. Ici, pour être servi, il faut être maître. Voilà pourquoi, dans tous les pays maritimes, si nombreux et si pourvus que soient les ports de commerce, si nombreux et exercés que soient les bras, l’état s’est créé, pour l’entretien comme pour la sûreté de ses flottes, des ports militaires choisis par lui seul et peuplés d’un personnel qu’il s’attache par les liens de la discipline et de l’intérêt. L’intérêt public commande même de ne pas borner ce personnel à ce qui est nécessaire pour les armemens et les réparations des temps ordinaires. Un service qui est soumis aux deux forces les plus mobiles de ce monde, la mer et la politique, doit garder des ressources toujours prêtes contre l’inconnu. Sage prodigalité et conforme à la conception la plus élevée de l’ordre, car tout coûte, la victoire comme la défaite, et il est moins cher encore de payer sa force que sa faiblesse.


V

Si l’entretien d’une flotte est une tâche trop vaste, trop variable, trop faite d’imprévu, pour qu’une puissance, hors la puissance nationale, la supporte, autre chose est l’entreprise de construire des vaisseaux. Leurs formes, le délai dans lequel ils doivent être exécutés, les quantités de matériaux et d’hommes nécessaires, le prix, peuvent être réglés d’avance sans nulle incertitude. Le travail s’exécute par des moyens constans et des efforts réguliers, il a le caractère des opérations habituelles à l’industrie. Cependant la production de la flotte a longtemps été confiée comme l’entretien au pouvoir public ; non que l’industrie fût suspecte, elle manquait. Isolées et restreintes, les forces des particuliers étaient inégales à de grands travaux comme leurs ressources à de grandes dépenses. Or quel travail exigeait des efforts comparables à la construction des navires ? Quelle fortune privée aurait suffi même aux approvisionnemens qu’il fallait maintenir toujours complets et garder durant de longues années ? Si la main de l’état semblait nécessaire