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leur vitesse à pousser au loin les reconnaissances, leurs armes à résister aux tentatives faiblement soutenues. Ne sont-ils pas de force contre le danger, ils le signalent aux navires de course plus puissans, qui forment en arrière la ligne de bataille. Enfin, s’il faut plus encore pour briser l’effort de l’attaque, les bâtimens cuirassés sont une réserve concentrée près de terre sur quelques points, les plus importans ou les plus faibles, car de grandes forces ne tenteront sur les côtes que de grandes opérations, et la défense connaît mieux encore que l’attaque les théâtres où elles ont chance de s’accomplir. Comme les communications font connaître partout ce qui est visible aux avant-postes, les navires, en s’avançant de la place qu’ils occupent vers l’ennemi signalé, se rapprochent les uns des autres, et tout mouvement de défense est un mouvement de concentration. Les cuirassés qui touchent le littoral apprennent la marche et la nature des forces qui naviguent à 25 ou 30 lieues au large ; cela leur donne le temps, eussent-ils une longue route à parcourir, de couper le chemin à l’adversaire, et, malgré leur petit nombre, de couvrir une grande étendue de côtes. C’est peut-être dans cette guerre qu’apparaît le mieux la supériorité des grands navires. Chacun d’eux est un fort, mais un fort qui, au lieu d’attendre l’attaque, est capable de la porter, d’achever en pleine mer une action heureuse et qui multiplie sa puissance par sa mobilité.

Mais s’il n’y a pas de meilleur instrument de guerre contre le vaisseau que le vaisseau, toutes les nations ne peuvent consacrer à leurs flottes des ressources égales. Les peuples maritimes forment trois groupes principaux : l’Angleterre et la France, avec un budget qui dépasse 200 millions, les États-Unis et la Russie, qui en dépensent 100, l’Italie et l’Allemagne, qui en emploient 50 à 60, sont les grandes puissances. L’Autriche, l’Espagne, la Hollande, le Brésil et la Turquie consacrent annuellement 15 à 25 millions à entretenir des forces moyennes. Les autres ne pouvant disposer que de 9 millions, comme le Portugal, 3 millions comme la Norvège, 2 millions et demi comme la Grèce, constituent les petites marines. Avec une pareille disproportion de moyens, elles ne sauraient avoir le même objectif, et les plus faibles n’en peuvent concevoir d’autre que de repousser les entreprises de l’ennemi sur leur littoral. Pour cette guerre strictement défensive, est-il nécessaire de posséder des navires de haute mer ? À ceux qui ne doivent pas s’éloigner du rivage les formes et les dimensions nécessaires pour braver la tempête et fournir de longues campagnes semblent superflues ; il s’agit de faire flotter autour des côtes une artillerie dont ces navires ne sont que les affûts. De là une autre disposition de défense, et la dispersion de l’armement sur des bâtimens spéciaux, pontons à l’ancre, assez nombreux pour que chacun d’eux protège