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disant : Dormis ne ? Les adversaires de tout compromis, les contempteurs des habiletés diplomatiques ne se font pas faute de murmurer autour de Léon XIII que sa politique de conciliation n’a pas été plus heureuse que la prétendue intransigeance de son prédécesseur. La faute en est avant tout aux circonstances, au vent qui souffle dans l’air, à l’ardeur des luttes engagées, aux passions excitées de part et d’autre. Les faits ont prouvé que les défiances, les ressentimens, les préjugés mutuels sont parfois plus puissans que les hommes, que les gouvernemens, que les intérêts les plus manifestes. La modération, l’esprit de conciliation qu’il apportait lui-même, il ne dépendait pas toujours de Léon XIII de le communiquer aux cabinets avec lesquels le saint-siège traitait ; si bizarre que cela semble, il n’était même pas au pouvoir du nouveau pape de toujours les inspirer aux catholiques, de faire partout prévaloir ses vues parmi le clergé et les fidèles qui font profession de suivre docilement l’impulsion du Vatican.

L’habile coopération qu’il a rencontrée dans ses secrétaires d’état et ses nonces, Léon XIII est loin de l’avoir trouvée partout autour de lui. Beaucoup des obstacles qui l’ont arrêté viennent des hommes ou des partis dont il semblait devoir commander le concours. De là plusieurs des mécomptes de sa politique, de là aussi les hésitations, les apparentes contradictions, les équivoques ou les incohérences qu’on lui a reprochées comme une inconséquence ou comme un manque d’énergie.

Le pape, proclamé infaillible et vénéré comme un Christ vivant, est obligé de compter avec les préventions de ses ouailles, avec les rancunes, les passions ou les intérêts des partis qui se convient du nom de catholiques. En dépit d’un mot fameux, l’immense milice ecclésiastique n’est point une armée qui obéit mécaniquement aux ordres de son général. Le clergé, et encore moins les catholiques des différens pays, ne sauraient brusquement faire volte-face sur un signe de Rome. La trace d’un pontificat d’un tiers de siècle ne s’efface pas en une année, et l’esprit belliqueux de Pie IX anime toujours nombre des plus zélés champions de l’église.

Dans le sacré-collège, dans l’épiscopat et le clergé, parmi les laïques, dont, avec la presse, l’influence s’est singulièrement accrue dans l’église, on a, dès le début, manifesté avec plus ou moins de retenue des défiances, des regrets pour ce qu’on appelait la politique de concession et de compromis du nouveau pontife. À Rome, beaucoup de prélats ne cachaient pas qu’à leurs yeux, il n’y avait rien à espérer de la part des gouvernemens modernes, que toute transaction avec eux ne serait pour l’église qu’une duperie et une inutile abdication. Au dehors, dans les divers états de l’Europe, les catholiques se trouvaient le plus souvent liés par des luttes et des