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chancelier d’Achab ou d’Attila. Il appelle sans scrupule « empereur magnanime » celui que, la veille encore, son prédécesseur stigmatisait du nom de fléau de Dieu[1]. Il n’insiste pas pour qu’on aille faire amende honorable à Canossa, et il ne laisserait pas un souverain attendre l’absolution, les pieds nus dans la neige. Aux violentes remontrances de l’apôtre, ans provocantes apostrophes des prophètes, il préfère la courtoise politesse de la langue diplomatique. Si, dans ses bulles et ses brefs il recourt parfois aux énergiques métaphores d’Israël, c’est pour se conformer aux traditions ecclésiastiques. Chez lui on retrouve l’ancien ambassadeur sous le pape, et le nonce derrière le théologiens

Avec Léon XIII, le Vatican est redevenu politique, il a retrouvé la finesse et l’habileté qui ont si longtemps fait la réputation de la Curie. Le pape, qui est lui-même son premier ministre, préside personnellement à toutes les négociations ; à en croire les indiscrets, il a même parfois sa diplomatie en partie double, il sait, au besoin, passer par-dessus ou par-dessous ses représentans attitrés. Toujours est-il qu’il a pris pour secrétaires d’état des hommes bien supérieurs par l’intelligence de leur temps, sinon par la dextérité, au mondain Antonelli, dont le grand art a été de se maintenir auprès d’un pape aussi différent de lui que Pie IX. Après la mort prématurée du cardinal Franchi, que la largeur de ses vues et sa connaissance du monde moderne appelaient à égaler les plus célèbres ministres du saint-siège, après la retraite du cardinal Nina, Léon XIII a rencontré dans le cardinal Jacobini un collaborateur du plus fin discernement, d’une expérience consommée, d’une instruction politique rare dans toutes les chancelleries. L’homme le plus capable de représenter la politique de modération du saint-siège et d’en diriger sous Léon XIII les délicates négociations, était assurément l’ancien nonce de Vienne, qui, durant l’administration des constitutionnels allemands, avait su empêcher l’Autriche de rompre avec le Vatican pour ces délicates questions d’école, partout la pierre d’achoppement des relations du clergé et de l’état, et qui, depuis l’avènement de la droite avec le ministère Taaffe, avait su modérer l’ardeur des catholiques et le zèle intolérant du pieux Tyrol.

Rarement politique a été mieux dirigée ou mieux servie, et pourtant elle n’a eu, en somme, que des résultats médiocres, mêlés de bien » des déboires. S’il a remporté quelques succès, Léon XIII a dû subir de sensibles échecs. Après plus de quatre ans de pontificat, on ne saurait dire que la situation de l’église en Europe soit beaucoup meilleure qu’ara jour où le cardinal Pecci avait, comme camerlingue, frappé de son marteau d’ivoire le front refroidi de Pie IX en lui

  1. Lettre de Léon XIII au cardinal Nina, août 1878.