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prompt aux anathèmes. Tandis que Pie IX, en cela d’accord avec les pires ennemis du catholicisme, ne cessait d’accentuer et au besoin d’outrer les dissentimens de l’église et des idées modernes, Léon XIII incline plutôt à les pallier ou à les adoucir, à réduire le champ des oppositions et des dissidences pour diminuer le nombre des adversaires.

Avec les hautes ambitions des jours de sacre, il aspirait, en ceignant la tiare, à pacifier les sociétés et les intelligences. Sans avoir jamais goûté l’enivrant breuvage de la popularité, il a refait d’une autre manière le rêve de Pie IX lui-même à ses débuts, le rêve de concilier l’église et les aspirations modernes ; et quoique, lui aussi, il ait bien vite eu d’amères déceptions, quoique les deux ou trois premières années de son pontificat fussent peu faites pour l’encourager, il semble ne point désespérer. Il reste soutenu par sa foi dans l’harmonie providentielle de la religion et du progrès normal, et cette foi, il s’efforce de l’inculquer aux peuples et aux gouvernemens. Là est la clé de sa politique.

En homme d’autorité et de tradition, c’est aux chefs d’états, aux princes, aux ministres, c’est aux pasteurs des peuples que s’adresse de préférence le pasteur de l’église, leur offrant son aide pour la garde de leur troupeau. Il les exhorte à respecter la religion, à n’en dédaigner ni l’appui, ni les leçons, leur montrant la connexité des intérêts religieux et des intérêts sociaux, la solidarité de l’autorité spirituelle et des pouvoirs temporels.

Rien de moins neuf assurément que ce point de vue ou cette tactique, rien, si l’on veut, de plus usé, de plus démodé. C’est au fond la vieille thèse de l’union du trône et de l’autel ; c’est le vieux dogme de l’alliance des deux pouvoirs symbolisé au moyen âge dans le célèbre emblème des deux lumières qui éclairent d’accord la route de l’homme :

Solea Roma che’l buon mondo feo
Due soli aver, che l’una e l’altra strada
Facean vedere, e del mondo e di Deo[1].

Pour banale et surannée que semble cette théorie d’un autre âge, les appétits menaçans de la démocratie, les visées peu dissimulées de la révolution cosmopolite, les attentats multipliés des régicides en Allemagne, en Espagne, en Russie, en Italie même, lui rendaient, auprès des détenteurs héréditaires du pouvoir, une force et une actualité qu’elle n’avait plus depuis longtemps. Le fusil

  1. Dante, Purgat,., ch. XVI. Le poète néo-gibelin, l’auteur du de Monarchia, défenseur de l’indépendance des deux pouvoirs, des deux soleils, tandis que la plupart des ecclésiastiques représentaient l’autorité spirituelle par le soleil et l’autorité temporelle par la lune, qui n’a qu’une lumière d’emprunt.