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Providence a voulu les corriger et redresser l’un par l’autre. Après un pontife peu lettré, peu travailleur, tenant en médiocre estime la science et l’étude, excellant surtout dans le personnage extérieur du pape et dans les fonctions de représentation, est venu up homme érudit et studieux, ami de la retraite, fuyant le bruit et les ovations. À une sorte de tribun religieux, bouillant, enthousiaste, passionné, d’une verve qui ne s’interdisait rien, d’une ferveur pliant parfois jusqu’au mysticisme et touchant à l’illuminisme, à un pape vénéré de son vivant comme un saint et sûr d’être un jour canonisé, qui, chez les fidèles, passait pour avoir le don des miracles et chez ses ennemis pour avoir le mauvais œil ; à un prince ennemi des compromis, attendant tout de l’intervention, divine, faisant peu de cas de la politique et des moyens humains, a succédé un diplomate circonspect, calculateur et temporisateur, d’une piété froide, exempte de toute exaltation, d’un sens rassis, d’une prudence exercée, décidé à ne rien abandonner à la fortune de ce qu’il peut lui dérober. Cette opposition entre les caractères et les hommes a pu, au début, faire illusion sur les idées et les vues. Pareille erreur ne pouvait durer. Les principes et les visées sont au fond identiques. Et cela est naturel de la part de deux papes nourris des mêmes traditions et, à travers toutes leurs dissemblances, pleins d’une égale foi, dans la haute mission de l’église et de la chaire apostolique. Bien plus, il n’en saurait guère être autrement dans cette séculaire dynastie spirituelle qui se transmet les vues, les projets, les prétentions avec plus d’esprit de suite, qu’aucune lignée de princes du même sang, qui reste liée par ses décisions antérieures et son histoire, par les attaques de ses ennemis aussi bien que par les adorations de ses fidèles.

Pour Léon XIII, le but est le même que pour Pie IX, les voies seules diffèrent ; mais cette différence de formes et de procédés n’est pas sans importance. Dans les choses humaines, dans tout ce qui touche au gouvernement ou à la direction des sociétés, la forme importe, presque autant que le fond.


II

L’objectif de la papauté reste la glorification, ou, comme, on aime à dire parmi les fidèles, le triomphe de l’église. Ce triomphe, dont Pie IX semble jusqu’au dernier jour avoir espéré être le témoin, on ne paraît plus au Vatican en escompter aussi, vite l’échéance. On oublie moins aujourd’hui l’épithète de militante donnée à l’église sur la terre. Cette victoire qui, d’après ses propres doctrines, ne saurait être complète ici-bas, le saint-siège la poursuit depuis dix-huit cents ans à travers des luttes sans trêve contre « le