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l’Italie (et l’un des premiers de l’Europe), M. R. Bonghi, mettant ses compatriotes en garde contre leurs illusions, leur rappelait que, sur l’église et sur la société, le futur Léon XIII n’avait au fond pas d’autres idées que ses collègues du cardinalat et que le successeur de Grégoire XVI[1]. À regarder les hommes, à comparer les caractères, tout est contraste entre Pie IX et Léon XIII, mais de cette dissemblance des natures et des tempéramens on avait tort de conclure à l’opposition des vues ou à la contradiction des actes.


I

Dans la longue série des papes dont les médaillons de mosaïque se déroulent sur la frise de Saint-Paul hors les murs, l’histoire trouvera peu de figures aussi tranchées que celles de Pie IX et de Léon XIII. Le contraste entre eux frappe à première vue ; il éclate dans les traits du visage, dans la démarche, dans la physionomie, dans l’extérieur tout entier, et chez eux, ces différences du dehors ne font que révéler l’opposition des esprits et des caractères.

Les traits réguliers, le visage empreint d’une noblesse aisée, la face pleine, l’œil grand et ouvert, Pie IX, avec sa belle prestance, semblait, malgré toutes ses vicissitudes et ses chagrins, respirer la force, la confiance, la vie. Il y avait en lui un curieux mélange de bonhomie et de souveraine dignité, de malice spirituelle et de rondeur bienveillante. Grand, maigre, sec, la face longue, pâle et ridée, Léon XIII semble frêle, délicat, nerveux ; on ne s’étonne pas de le savoir prompt aux évanouissemens. Jusque dans ses dernières années, Pie IX avait, à travers tous ses déboires, gardé un fond de belle humeur qui survivait à toutes les épreuves ; sous la majesté du pontife, toujours plein de son rôle sacré, on devinait la chaleur d’une nature expansive, et l’extrême vieillesse avait à peine amorti sa vivacité, sa sensibilité, sa fougue natives[2]. Léon XIII, avec son corps d’ascète et sa physionomie d’homme du monde, a dans toute sa personne quelque chose d’austère, de froid, de contenu et en même temps de noble, d’élevé, de grave. Chez lui aussi, dans la bouche aux coins relevés et dans les yeux au vif regard, percent à la fois la finesse et la bonté, mais une finesse plus apte à pénétrer les hommes, à démêler leurs pensées et leurs intérêts qu’à saisir et à railler leurs travers, mais une bonté tenant moins de l’instinct ou du tempérament que de la vertu et de la hauteur de l’âme, une bonté plus réservée, à la fois moins débonnaire et plus soucieuse

  1. Pio IX e il Papa futuro, p. 156.
  2. Sur le caractère et le pontificat de Pie IX, voyez dans la Revue, notre étude du 15 juin 1878 et le livre intitulé : un Empereur, un Pape, un Roi ; Paris, Charpentier.