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que, comme eux, Dieu ne nous abandonnerait pas. Brigham Young ne nous disait pas où il nous conduisait. Peut-être ne le savait-il pas lui-même. Il se bornait à nous dire que Dieu, dans une vision, lui avait fait voir l’endroit où nous devions nous arrêter. Enfin lorsqu’à trois ou quatre journées de marche des montagnes Rocheuses, nous sommes arrivés sur les bords du lac Salé que vous verrez demain, et qui ne portait alors aucun nom, Brigham Young s’écria : « C’est ici le lieu que Dieu m’a fait voir en songe, où nous allons construire une nouvelle Sion. » Et c’est en effet sur l’emplacement de notre dernier campement que nous avons construit la ville que vous appelez Salt Lake City, mais que nous, nous nommons Sion. Nous n’étions pas cependant au bout de nos peines, car il fallait vivre et la contrée était absolument inculte. Nous nous sommes adonnés aussitôt à l’agriculture et nous sommes toujours restés depuis un peuple agricole. Mais il s’est écoulé bien du temps avant que les produits de nos travaux fussent suffisans pour satisfaire à nos besoins. Bien souvent je me rappelle m’être promené, mourant presque de faim, dans le petit jardin que je cultivais et avoir regardé avec angoisse si les légumes que j’avais plantés poussaient assez rapidement pour subvenir à mes repas des jours suivans. Mais, grâce au Tout-Puissant, ces épreuves ont pris fin. Sa bénédiction s’est étendue sur moi comme sur les autres enfans de son peuple et je suis aujourd’hui, sinon riche, du moins dans l’aisance, comme le sont devenus au reste tous ceux que vous appelez les mormons, grâce à leur foi, à leur persévérance dans le travail et à la pureté de leurs mœurs. »

Tout ce long récit avait été débité avec une gravité et une émotion concentrée qui produisirent sur moi une certaine impression. Je ne sais s’il en fut de même du chapelain ; mais en tout cas ce fut avec beaucoup de sérieux qu’il lui demanda : « Ainsi vous croyez que votre peuple est l’objet d’une protection particulière de Dieu comme l’était autrefois le peuple d’Israël et que c’est sa main qui vous a conduits ici. — C’est notre conviction, reprit notre interlocuteur ; nous sommes un peuple biblique (a Bible people) ; aussi, tandis que vous nous appelez mormons, sans doute à cause du livre de Mormon, qui est en effet un de nos ouvrages sacrés, le nom que nous nous donnons à nous-mêmes est celui d’église de Jésus-Christ des saints des derniers jours (church of Jesus Christ of latter days saints), en souvenir de l’église des saints des premiers jours, auxquels nous nous efforçons de ressembler, et nous appelons comme eux gentils tous ceux qui n’appartiennent pas à notre foi. Nous avons conservé, en effet, autant que possible l’organisation de la primitive église, dont nous nous croyons plus près qu’aucune communion chrétienne, et nous avons la ferme croyance que nous