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monsieur. Mais il est clair que celui qui tiendrait à cette prescription en omnibus, par exemple, serait victime de sa déférence ; je crois même qu’il manquerait aux règlemens. En chemin de fer, combien y en a-t-il qui sentent que se presser sur le quai pour gagner les autres de vitesse et prendre la meilleure place est une suprême grossièreté ?

En d’autres termes, nos machines démocratiques excluent l’homme poli. J’ai renoncé depuis longtemps à l’omnibus ; les conducteurs arrivaient à me prendre pour un voyageur sans sérieux. En chemin de fer, à moins que je n’aie la protection d’un chef de gare, j’ai toujours la dernière place. J’étais fait pour une société fondée sur le respect, où l’on est salué, classé, placé d’après son costume, où l’on n’a point à se protéger soi-même. Je ne suis à l’aise qu’à l’Institut et au Collège de France, parce que nos employés sont tous des hommes très bien élevés et nous témoignent une haute estime. L’habitude de l’Orient de ne marcher dans les rues que précédé d’un kavas me convenait assez ; car la modestie est relevée par l’appareil de la force. Il est bien d’avoir sous ses ordres un homme armé d’une courbache, qu’on empêche de s’en servir. Je serais assez aise d’avoir le droit de vie et de mort, pour ne pas en user, et j’aimerais fort à posséder des esclaves, pour être extrêmement doux avec eux et m’en faire adorer.

Mes idées cléricales m’ont encore bien plus dominé en tout ce qui touche à la règle des mœurs. Il m’eût semblé qu’il y avait de ma part un manque de bienséance à changer sur ce point mes habitudes austères. Les gens du monde, dans leur ignorance des choses de l’âme, croient en général qu’on ne quitte l’état ecclésiastique que pour échapper à des devoirs trop pesans. Je ne me serais point pardonné de donner raison k des jugemens aussi superficiels. Consciencieux comme je le suis, je voulus être en règle avec moi-même, et je continuai de vivre dans Paris ainsi que j’avais fait au séminaire. Plus tard, je vis bien la vanité de cette vertu comme de toutes les autres ; je reconnus, en particulier, que la nature ne tient pas du tout à ce que l’homme soit chaste. Je n’en persistai pas moins, par convenance, dans la vie que j’avais choisie, et je m’imposai les mœurs d’un pasteur protestant. L’homme ne doit jamais se permettre deux hardiesses à la fois. Le libre penseur doit être réglé en ses mœurs. Je connais dés ministres protestans, très larges d’idées, qui sauvent tout par leur cravate blanche irréprochable. J’ai de même fait passer ce que la médiocrité humaine regarde comme des hardiesses grâce à un style modéré et à des mœurs graves.

Les raisonnemens du monde en ce qui concerne les rapports des deux sexes sont bizarres comme les volontés de la nature elle-même.