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frage universel et la république ? Le nihilisme russe semble bel et bien depuis quelque temps envahir la France elle-même, se servant de tout, exploitant la crédulité, la misère ou les passions des populations ouvrières, cherchant sa force dans le mystère des organisations secrètes, procédant par les menaces anonymes et par la dynamite. L’anarchie avouée, érigée en système ou déguisée sous le voile d’un communisme grossier, « anarchisme » ou « collectivisme, » voilà l’étrange progrès qu’on prétend maintenant acclimater en France par le fer et le feu !

Lorsqu’il y a quelques mois éclatait, dans un des centres industriels de la Bourgogne, à Montceau-les-Mines, le mouvement qui commençait par l’incendie d’une église, par des tentatives contre un presbytère, contre des maisons de religieuses, on pouvait se demander encore si ce n’était pas là simplement un accident d’effervescence locale dû à des circonstances particulières. L’explosion restait toujours un fait grave assurément ; elle ne laissait pas au premier abord de paraître assez énigmatique par la manière dont elle s’est produite, par le caractère qu’elle affectait. Tout s’est bientôt éclairci. On n’a pas tardé à s’apercevoir que l’émeute nocturne de Montceau-les-Mines n’avait en réalité rien de local et d’accidentel, qu’elle n’était qu’un épisode préliminaire d’un mouvement plus vaste, plus étendu, qui a éclaté presque aussitôt dans d’autres régions, qui devait se préparer depuis quelque temps dans l’ombre des sociétés secrètes. C’est devenu sensible surtout le jour où une instruction judiciaire, devant laquelle on ne pouvait reculer, a été engagée sur ces premiers troubles et où le procès des mineurs de Montceau a commencé à se dérouler devant la cour d’assises de Chalon-sur-Saône. Ce jour-là, il a été clair que dans ces débats, peut-être insuffisamment préparés, il y avait quelque chose d’inconnu et d’inquiétant, que les accusés auxquels on avait affaire n’étaient que des instrumens aveugles et d’obscurs séides. Il a été manifeste qu’on se trouvait en face d’une sorte de puissance insaisissable interceptant la vérité, dominant les témoins par l’intimidation, cherchant à peser sur les juges, sur le jury par la menace, organisant autour du tribunal une véritable terreur. Bref, la situation a paru assez sérieuse pour que le représentant du gouvernement, le procureur-général, par une dérogation certes insolite, ait cru devoir provoquer une suspension du cours de la justice et demander le renvoi du procès de Chalon à une autre session, sans doute aussi à une autre cour d’assises. Elle devenait, en effet, assez grave, cette situation, puisque, depuis ce moment, l’agitation n’a fait que s’accroître et prendre un caractère de plus en plus violent. Ce n’est plus seulement dans la région de Montceau-les-Mines que des tentatives nouvelles de destruction se sont produites ; c’est en pleine ville de Lyon que la dynamite a fait son œuvre sinistre, tuant et blessant des personnes inoffensives dans un café, s’attaquant aux bureaux du recrutement.