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théâtral. Naturel et spirituel, ingénieux et sinueux, il atteint dans les grandes scènes à la haute éloquence des maîtres.

Que d’ailleurs les situations, qui sont, ainsi que le veut la saine doctrine, autant d’expériences faites sur les caractères des personnages, se trouvent en même temps être romanesques, au sens ordinaire du mot, — comme ces caractères le sont en un sens spécial, — c’est, j’imagine, ce qu’il est également inutile, après cette analyse, de prouver et de contester. S’il se trouve à la fois que des situations soient des occasions bien imaginées pour des caractères de se déclarer au public, et que ces épreuves naturellement choisies aient l’attrait de la fiction romanesque, c’est tant mieux pour l’auteur et pour nous ; je n’attends pas que personne s’en plaigne. On remarquera d’ailleurs que rarement M. Feuillet a mis dans un ouvrage plus de netteté, plus de vigueur, plus de force vraiment dramatique. Mais peut-être, sans qu’on s’en prenne à la matière romanesque de l’action, c’est-à-dire aux événemens eux-mêmes qu’a suscités l’auteur, on s’avisera de critiquer la liberté romanesque avec laquelle il les a distribués, et la marche de l’intrigue, sinon l’intrigue elle-même. On dira, on a déjà dit que ces événemens se ralentissent ou se pressent au gré d’une fantaisie qui sent bien son romancier ; que la pièce enfin pèche contre les lois de la composition dramatique !

Contre les lois, c’est bientôt dit : il s’agit de voir contre lesquelles. Assurément j’aperçois qu’un Roman parisien n’est pas composé comme une Chaîne ou comme le Demi-Monde, comme le Supplice d’une femme ou comme Julie… Mais, au fait, de qui donc Julie ? De M. Feuillet, si je ne m’abuse. C’est l’exemplaire le plus parfait de drame rapide et serré que le théâtre de cette époque ait produit : auprès de Julie, le Supplice d’une femme est traînant et relâché. On m’accordera donc que, si M. Feuillet a modifié cette fois le type de son ouvrage, s’il en a réglé l’économie selon des lois différentes, c’est à bon escient. J’ai indiqué, dès l’abord, comment il avait réparti son action ; j’ai dit que, si le premier acte et le cinquième contiennent, selon l’usage, l’exposition et le dénoûment, le troisième était placé entre le second et le quatrième comme entre deux réflecteurs ; ne pourrai-je pas dire que, le troisième étant le foyer lumineux du drame, le second et le quatrième en constituent l’atmosphère ? Cette distribution du drame est aussi raisonnable, aussi harmonieuse, aussi légitime selon les lois de l’art, — qu’il ne faut pas confondre avec les recettes d’une école, — aussi littéraire et peut-être aussi dramatique que celle du Supplice d’une femme ou de Julie. Quelqu’un objectera qu’on ne peut retrancher de Julie ou du Supplice d’une femme aucune scène sans que le drame devienne matériellement incomplet, tandis qu’on peut remplacer le second et le quatrième acte d’un Roman parisien par deux récits de cinquante lignes, et que la matière du drame resterait la même. D’accord, mais si le