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riveraine s’attribuait le droit d’accaparer à sort profit la partie du fleuve et de ses affluens où elle s’était établie et d’en exclure toute autre pirogue que les siennes. Il parvint à leur démontrer le tort qu’elles se faisaient par l’abus de leurs privilèges, l’avantage qu’elles trouveraient à ouvrir les fleuves à tout le monde, à communiquer librement les unes avec les autres. Il réussit si bien qu’il put organiser un service général de transport confié aux Adama et aux Okanda. « Les populations, a-t-il dit lui-même, gagnées par nos bons procédés et unies à nous par leurs intérêts dans un même sentiment de bienveillance, voyaient dans le pavillon français un emblème de liberté commerciale et de paix, un gage d’heureux avenir grâce aux relations qu’il leur ouvrait avec la côte. »

M. de Brazza est un trop habile politique pour ne pas savoir qu’avant de récolter, il faut avoir semé. Ses semailles avaient été laborieuses, mais son labeur fut récompensé. Instruit de ce qui se passait dans l’Ogooué, ce fut Makoko lui-même qui lui fit de flatteuses avances., qui lui dépêcha un ambassadeur pour lui exprimer le désir qu’il avait de le voir : « Makoko, lui faisait-il dire, connaît depuis longtemps le chef blanc de l’Ogooué ; il sait que ses terribles fusils n’ont jamais servi à l’attaque et que la paix et l’abondance accompagnent ses pas. » Le roi Makoko savait très bien ce que représentait le chiffon tricolore qu’il a hissé sur sa case. Mais il faut convenir que M. de Brazza serait un ingrat s’il méconnaissait les services essentiels que lui a rendus M. Stanley. Il a exploité avec adresse et bonheur les souvenirs qu’avait laissés le grand voyageur américain. Il s’est appliqué à lui ressembler le moins possible, il a pris soigneusement le contre-pied de sa conduite et de ses procédés un peu sommaires, et les siens ont plu par le contraste. Cette histoire ne prouve pas seulement qu’on peut se passer quelquefois de souliers, elle démontre encore que, même en Afrique, on arrive mieux à ses fins par la diplomatie que par la violence, par les palabres que par les coups de main, et que celui qui a prononcé le discours SUIT la montagne ne se trompait pas absolument quand il a dit : « Heureux les doux, car ils posséderont la terre ! » Cela n’est pas toujours vrai, mais cela arrive quelquefois. Que les violens s’en consolent, ils prendront quelque jour leur revanche.

Il y a deux Stanley, celui qui rit et celui qui se fâche. Le premier affirme que le traité avec Makoko n’est qu’un morceau de papier, que le drapeau qui flotte à Ntamo n’est qu’un vil chiffon. S’il en est ainsi, qui l’a empêché de pousser sa pointe ? Pourquoi a-t-il battu en retraite ? Pourquoi est-il revenu en Europe et de quoi se plaint-il ? Au surplus, s’il est vrai, comme il l’avance, que tout traité avec les noirs soit vain et caduc, sur quel droit fonde-t-il la possession des terrains qu’il a achetés lui-même et des stations qu’il a établies le long de l’escalier du Congo ?