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de cas de Malamine, trop d’avances au voyageur illustre, mais suspect, ce qui l’obligea à déguerpir beaucoup plus vite qu’il ne l’avait pensé. Pour M. Stanley, il fit d’abord bonne mine à mauvais jeu. Il tâcha de se retourner, de se créer des intelligences, de persuader aux chefs indigènes qu’un morceau d’étoffe tricolore est le plus sot, le plus impuissant des fétiches. Il ne réussit pas à les convaincre. Pris par la famine, il dut passer sur la rive gauche du Congo, et bientôt après il partit, fort étonné, surtout très contrarié, et nous avouons qu’à sa place nous l’aurions été comme lui.

Que s’était-il passé ? D’où sortaient Malamine et son morceau d’étoffe ? Quoi qu’en dise M. Stanley, l’enseigne de vaisseau qui était parvenu à installer sur les bords du Congo un sergent et un pavillon français avait fait un coup de maître, dont il a le droit d’être fier. De 1875 à 1878, tandis qu’un audacieux Américain traversait glorieusement. l’Afrique, M. de Brazza avait quitté le Gabon pour s’acheminer vers l’intérieur du mystérieux continent à la recherche d’une voie commerciale. Il était revenu en Europe, puis retourné au Gabon, fermement convaincu que si l’on n’avisait aux moyens de relier notre colonie au Congo navigable, elle ne serait jamais qu’un modeste comptoir perdu sur la côte. Il était convaincu aussi qu’un escalier n’est pas une route, qu’il fallait trouver autre chose. Il n’avait pas de souliers et point de millions ; il en était réduit à une subvention modique, mais il avait une idée, beaucoup de courage et beaucoup d’adresse. Après avoir remonté l’Ogooué, fondé Franceville et fait beaucoup de choses qui n’étaient pas faciles à faire, il se mit en route pour le Congo. Son dessein était de nouer des relations pacifiques avec les Oubandjis, « qui naissent, vivent et meurent avec leurs familles dans les belles pirogues sur lesquelles ils font seuls les transports d’ivoire et de marchandises entre l’embouchure de l’Alima et Stanley-Pool. » Il fallut faire une grande dépense de paroles ; mais à force de palabres, la paix fut conclue, on enterra la guerre. On pratiqua un grand trou en face du malencontreux îlot, où tant de sang avait coulé. Chaque chef y déposa qui une balle, qui une pierre à feu, qui sa poire à poudre ; M. de Brazza et ses hommes y enfermèrent des cartouches, puis on y planta le tronc d’un arbre qui repousse rapidement. Alors un des chefs prononça ces mots : « Nous enterrons la guerre si profondément que ni nous ni nos enfans ne pourrons la déterrer, et l’arbre qui poussera ici témoignera de l’alliance entre les blancs et les noirs. — Et nous aussi, répondit M. de Brazza, nous enterrons la guerre. Puisse la paix durer aussi longtemps que cet arbre ne produira ni balles, ni poudre, ni cartouches ! » Après cela, il leur remit son pavillon. Tous les chefs voulurent en avoir un qu’ils frottèrent contre le premier, et bientôt toute la flottille oubandji fut pavoisée des couleurs françaises.

M. de Brazza avait fait auparavant un acte de diplomatie plus