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serions livrés à de graves embarras. Il en serait autrement si nos-finances étaient plus libres ; nous serions mieux en état de braver toutes des éventualités. Avoir de bonnes finances est aujourd’hui une nécessité patriotique comme d’avoir de bonnes armées.


III

Voyons maintenant, au point de vue économique, quel pourrait être le résultat d’un amortissement sérieux. Supposons qu’il abaisse létaux du crédit de l/2 pour 100, qu’il le porte de 4 à 3 1/2, et cette supposition n’a rien d’invraisemblable. Voilà la rente qui monte aisément à 90 ou 92, au lieu de 82 ou 83, où elle reste stationnaire ; voilà les grandes entreprises d’utilité publique qui peuvent emprunter à 1/2 pour 100 au-dessous du taux actuel ; voilà enfin toutes les transactions industrielles et commerciales qui vivent du crédit et qui trouvent de l’argent à meilleur compte. Le bénéfice serait considérable : ce serait d’abord une facilité plus grande donnée à la conversion du 5 pour 100, le 3 pour 100 aurait une plus-value d’environ 3 milliards, et quant aux entreprises de chemins de fer et autres qui ont à emprunter 400 ou 500 millions par an, on peut voir tout de suite le profit qu’elles en retireraient. Enfin l’abaissement du taux de l’intérêt dans les transactions commerciales réagirait sur l’ensemble de la production et ferait que telle industrie qui lutte péniblement contre la concurrence étrangère se défendrait plus aisément. L’agriculture elle-même ne serait pas la dernière à s’en trouver bien, elle verrait arriver à elle des capitaux qui lui manquent aujourd’hui et cela lui vaudrait mieux que cet allégement de 40 millions dans l’impôt foncier qu’on lui fait espérer. Mais pour cela il faut organiser un amortissement sérieux. Tout doit céder à cette nécessité ; elle est la clé de voûte de notre édifice financier. M. Thiers le sentait bien lorsqu’il demandait, malgré les difficultés, d’inscrire chaque année au budget 200 millions destinés à rembourser la Banque de France de ses avances ; il n’admettait pas qu’on pût discuter sur l’utilité de cette mesure.

Maintenant, comment organiser cet amortissement ? Là est le point délicat de la question. Toutes nos ressources sont engagées dans le présent et un peu dans l’avenir ; et c’est à grand’peine si, avec les expédiens qu’on propose, on arrive à l’équilibre ; il ne reste donc rien pour la réduction de la dette. Faut-il faire comme les Américains et demander à des impôts nouveaux les fonds nécessaires pour combler cette lacune ? Nous n’hésiterions pas, quant à nous, si nous n’avions pas d’autres moyens. Mais, grâce à Dieu, quelque embarrassée que soit aujourd’hui notre situation financière, nous n’en sommes pas encore réduits à cette