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l’impôt de 23 pour 100 qui pèse sur les transports par chemins de fer et celui de mutation de 6 1/2 pour 100 qui frappe les ventes d’immeubles, le sacrifice imposé au trésor ne serait pas de longue durée et on donnerait une plus grande activité aux affaires.

On a beaucoup parlé, dans ces derniers temps, de dégrèvemens au profit de l’agriculture, et M. Léon Say a été un de ceux qui ont le plus contribué à mettre cette idée en avant, Ne voulant pas et ne pouvant pas accorder de protection à l’agriculture, il a pensé qu’on ferait quelque chose d’efficace pour elle en la dégrevant de l’impôt foncier. Il y a là, à notre avis, une grande illusion. Veut-on l’exonérer de tout l’impôt en principal ? Il s’agirait d’une somme de 120 millions. Personne n’ose aller jusque là, et, cependant, l’abandon même de ces 120 millions, qui serait fort préjudiciable à l’état, serait sans efficacité aucune pour l’agriculture. En effet, voyons les choses dans l’application. La production agricole, envisagée sous toutes les formes et dans son ensemble, représente bien de 8 à 10 milUards. Qu’est-ce qu’un dégrèvement de 120 millions appliqué à 8 ou 10 milliards de valeurs ? C’est une économie de 1 1/2 pour 100, c’est à-dire qu’en supposant cette économie bien employée et ayant une action directe sur le prix des produits, toutes choses restant égales d’ailleurs, l’agriculture réaliserait un bénéfice de 30 centimes par hectolitre de blé calculé sur le pied de 20 francs et de 60 centimes sur l’hectolitre de vin calculé à 40 francs. Est-ce là un allégement sérieux qui puisse guérir les maux dont souffre l’agriculture ? il est probable que la situation resterait la même et le trésor aurait perdu d’un seul coup 120 millions. Mais, je le répète, il ne s’agit pas de la suppression totale de l’impôt. M. Léon Say a proposé de n’en abandonner que le tiers, soit 40 millions. Or, voit-on l’effet de ces 120 millions sur une production agricole de 8 à 10 milliards ? il serait tellement minime qu’il ne mérite pas qu’on s’y arrête. On dépense bien aujourd’hui en moyenne 250 à 300 francs pour mettre un hectare de terre en culture. Or, un dégrèvement de 40 millions représente 1 fr. 50 par hectare, c’est-à-dire 1/2 pour 100 à peu près des frais de culture, et si on suppose une production de 20 hectolitres de blé à l’hectare, l’économie serait de moins de 10 centimes par hectolitre, et, à cette mesure, sans aucun effet économique, l’état perdrait 40 millions sans compensation aucune. Si encore c’était un acte équitable et qu’il s’agît de redresser un tort vis-à-vis de certains contribuables, mais l’équité elle-même proteste ; le dégrèvement profiterait à des propriétaires qui ont acheté leur terre en conséquence de l’impôt, qui ont fait entrer celui-ci dans leurs frais d’acquisition et sur lesquels la taxe ne pèse nullement. Et on viendrait les gratifier d’un cadeau auquel ils n’ont aucun droit ! Cependant, depuis qu’on a parlé d’abandonner