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la teinture, l’impression et les multiples applications de chacune de ces opérations.

L’industrie du coton en France ne date que de la seconde moitié du XVIIe siècle. En 1668, il y fut importé du Levant par la voie de Marseille 220,277 kilogr. de coton en laine et 709,783 kilog. de coton filé ; en 1750, l’importation du coton en laine s’élevait à 1,875,000 kilogr. et celle du coton filé à 986,343 kilogr. ; en 1869, avant nos malheurs, on a importé pour 331,200,000 francs de coton en laine et pour 12,800,000 francs de coton filé ; et exporté pour 70,100,000 francs de tissus de coton. L’Alsace, où cette industrie ne s’implanta que vers le milieu du siècle dernier, a été pour beaucoup dans ce prodigieux développement, car elle occupait à elle seule, à cette dernière date, 80,000 ouvriers avec un matériel de 1,700,000 broches à filer, 40,000 métiers à tisser, 124 machines pour l’impression des toiles et une force motrice de 18,000 chevaux.

La première opération à faire subir au coton en laine, après le nettoyage et le cardage, est celle de la filature ; elle a pour objet d’étirer les fibres, comme le laminoir étire le métal en fusion, en leur donnant par la torsion une grosseur uniforme et la force de résistance nécessaire. Autrefois le coton, comme tous les autres textiles, était filé à la main ; mais l’invention de la Mule-Jenny par Arkwright en permettant l’emploi de la machine, donna à cette industrie une impulsion énorme que développèrent les perfectionnemens qui y furent successivement apportés, et que les industriels alsaciens s’empressèrent d’appliquer aussitôt leur apparition. L’introduction de cette machine en France ne fut pas cependant une petite affaire, car le gouvernement anglais avait prohibé l’exportation de ses métiers de filature ; ce ne fut que peu à peu et par pièces détachées qu’on parvint à se les procurer, et c’est à partir de 1836 seulement que les constructeurs français purent rivaliser avec les constructeurs anglais.

Pour se rendre compte des progrès réalisés, il faut avoir vu fonctionner ces métiers automatiques qu’un seul enfant suffit à conduire et dont chaque broche représente le travail de 100 fileuses au fuseau. À ce compte, les 72,000,000 broches existant dans le monde font le travail de 7,200,000,000 ouvrières, tandis qu’il n’y en a pas plus de 800,000 employées aujourd’hui à cette besogne. Ce n’est pas seulement par l’accroissement de la production que le progrès s’est manifesté, c’est aussi par la qualité des produits, puisqu’on est arrivé à obtenir des fils d’une régularité parfaite et d’une ténuité qu’on ne pouvait obtenir autrefois et qui servent à la fabrication de ces mousselines dont nos ancêtres n’avaient pas idée.