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Alsace, parce qu’un plus grand nombre de personnes y vivent du produit de la terre.

Quiconque, dit M. Grad, dans l’ouvrage auquel j’ai emprunté la plupart des chiffres qui précèdent, voudrait avoir une idée juste de l’exploitation agricole de la plaine, devrait visiter le Kochersberg. C’est un canton situé au nord-ouest de Strasbourg, que sa fertilité fait appeler le grenier de l’Alsace et dont la population dépasse le chiffre de deux cents habitans par kilomètre carré. Les villages sont spacieux, rapprochés les uns des autres, réunis par des routes bordées d’arbres à fruits. Les maisons, avec leurs toits aigus ou avancés, avec leurs balcons en bois découpé et sous lesquels se déroulent des guirlandes d’épis de maïs ou de feuilles de tabac, avec leurs fraîches peintures et leur aspect de propreté, avec leurs habitans aux mœurs un peu rudes, mais d’une constitution vigoureuse, montrent tous les indices de la prospérité, de l’aisance et du bonheur domestiques. Granges et étables s’élèvent avec le rucher, le poulailler, le pigeonnier au fond d’une vaste cour ombragée de noyers. Derrière la maison s’étend le verger plein d’arbres à fruits et le jardin, où croissent, à côté des légumes ordinaires, la chrysanthème rouge ou jaune, le tournesol, la rose trémière, le thym, le romarin, où la vigne couvre de ses pampres les murs exposés au soleil. Dans les rues vaguent des troupeaux d’oies destinées à la fabrication de ces pâtés dont Strasbourg avait jadis le monopole, et dont l’invention est due au cuisinier du maréchal de Contades.

Autant les villages du Kochersberg, ajoute M. Grad, sont spacieux, autant les bourgs du pays vignoble sont étroits et resserrés. Kaysersberg, Turckheim, Obernai, ces anciennes villes impériales, sont étreintes par de hautes murailles aujourd’hui croulantes ; leurs rues étroites et tortueuses sont bordées par des maisons sombres, à pignons pointus et avançant sur la voie publique. Elles sont habitées par des familles qui jouissent presque toutes d’une honnête aisance due à la culture de la vigne. La zone du pays vignoble occupe la lisière de coteaux qui s’étend de Thann à Mutzig, le long du versant oriental de la chaîne des Vosges ; elle s’élève quelquefois dans la montagne, où elle empiète sur la région des forêts et descend dans la plaine, où elle dispute le terrain aux céréales. Sur toute cette étendue, pas un coin de terre, pas une anfractuosité apte à porter un cep n’échappe à cette culture, qui réclame des travaux incessant. Sur les 515,000 hectares qui, les forêts exceptées, sont en Alsace livrés à l’agriculture, 25,000 hectares environ sont occupés par la vigne, et nulle part celle-ci n’est plus belle ni mieux soignée. Dans certaines parties, elle donne jusqu’à 100 hectolitres par hectare et un revenu brut de 1,000 à 1,500 francs ; elle fait vivre le