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sous le régime allemand. M. Grad est, parmi les députés de l’Alsace au Reichstag, un de ceux qui ont pris leur mission le plus à cœur. Toujours sur la brèche quand l’intérêt de son pays est en cause, il ne cesse de protester contre l’arbitraire auquel il est soumis et de réclamer les mesures qui peuvent améliorer sa situation. C’est avec cette pensée patriotique, et sur la demande même des autorités allemandes, qu’il a écrit son livre. Il n’y a apporté aucun parti-pris et s’est abstenu avec soin de toute récrimination ; il s’est borné à une description de l’Alsace et des industries qui en faisaient la richesse en s’appuyant sur des chiffres officiels, dont l’éloquence ne laisse rien à désirer, et si, dans plus d’une page, il laisse percer le regret des jours passés, il l’exprime avec une profonde tristesse, mais sans aucune acrimonie. Ce livre fait non-seulement connaître ce que la France a perdu avec cette province, mais aussi ce qu’a perdu celle-ci en cessant d’être française. Nous pensons qu’il n’est pas sans intérêt d’en donner une idée aux lecteurs de la Revue.


I

Si d’un des points culminans du versant oriental de la chaîne des Vosges et tournant le dos à l’arête principale, vous promenez vos regards autour de vous, vous apercevez d’abord à vos pieds les cimes boisées des montagnes qui se succèdent comme les values de la mer qu’une forte brise fait moutonner ; un peu plus loin, vers l’est, apparaissent des coteaux plantés de vignes, au milieu desquelles pointe parfois le clocher de quelque bourg caché dans un repli de terrain ; puis au-delà, une plaine unie comme un lac, couverte, suivant les cultures, de taches vertes ou jaunes, parsemée de villages et bordée par le Rhin qui déroule son ruban d’argent sur notre ancienne frontière. Au-delà du fleuve, les montagnes de la Forêt-Noire estompent sur le ciel leurs contours indécis ; à gauche, dans la brume, la cathédrale de Strasbourg projette son aiguille élancée, tandis que bien loin, sur la droite, les cimes neigeuses de l’Oberland bernois et du Mont-Blanc profilent leur silhouette sur l’horizon. C’est l’Alsace que vous avez devant vous ! Elle forme un rectangle de 200 kilomètres de long sur 40 de large, qui comprend la plaine située entre le Rhin et les Vosges, depuis Belfort jusqu’à Wissembourg, ainsi que les rameaux qui se détachent de la chaîne principale. Ces rameaux courent perpendiculairement au fleuve en formant des vallées qui s’évasent à mesure que les montagnes elles-mêmes diminuent de hauteur.

La plaine qui est absolument unie, et de quelques mètres