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ont à se partager un immeuble, comme il est presque toujours pratiquement indivisible, on procède sous une forme ou une autre à l’évaluation ou à la vente, et si l’on ne trouve pas un acquéreur qui paie comptant, que faire ? En fait, c’est généralement l’un des héritiers qui prend la ferme en se chargeant de payer provisoirement une rente aux cohéritiers, et cette rente il sera rarement en état de la racheter. C’est ainsi obérée que la propriété passera à un de ses fils, qui devra de la même façon se libérer envers ses frères et sœurs. C’est là un boulet que traînent beaucoup de propriétés en France, en Allemagne, en Angleterre et ailleurs, et le mal va naturellement en s’aggravant. Il semble pourtant qu’il s’offre ici un remède et un remède radical : supprimer les partages et instituer un héritier unique. Cette solution trouve de nombreux partisans en Allemagne, elle en a même en France, mais nous ne sommes pas du nombre, d’abord, parce qu’elle nous paraît inique, ensuite, parce qu’elle n’empêche rien, car la lui de primogéniture règne en Angleterre, et pourtant les propriétés y sont surchargées de dettes familiales comme nulle part ailleurs.

Le but qu’on voudrait atteindre par ces moyens radicaux ou excentriques, c’est de maintenir la terre entre les mains du cultivateur, libre de toute charge. Cette tendance ne peut être que hautement approuvée, c’est seulement le moyen d’arriver au but qu’il faudrait connaître. Dans quelques pays, et non uniquement en France, certains propriétaires s’abstiennent d’avoir plus d’un ou deux enfans ; on évite bien ainsi le morcellement des successions, mais il est permis de se demander si ce moyen n’est pas pire que le privilège donné à la primogéniture. Et si vous vous décidez de préférence à favoriser un enfant, « à faire un aîné, » que deviendront les autres ? Ils encombreront encore davantage les carrières ou émigreront. Ils iront en Amérique faire concurrence à leur ancienne patrie, et leurs fils compteront peut-être parmi les ennemis de leur pays d’origine.

La concurrence américaine est certainement un effet de l’excès de la population européenne. Ceux qui se sentent à l’étroit dans notre vieux continent vont peupler les vastes solitudes du nouveau. Nous avons longtemps accompagné de nos sympathies les émigrans, mais depuis qu’ils nous font concurrence sur notre propre marché, nous sommes disposés à changer de point de vue. C’est que la chose a une certaine gravité. Cette concurrence est utile à tous ceux qui ne vivent pas de l’agriculture, parce qu’elle maintient les prix à un niveau modéré ; en revanche, elle lèse les intérêts des cultivateurs, qui ne peuvent plus élever leurs prix de manière à compenser le déficit de la récolte. Le blé américain, le bétail américain, sont donc venus augmenter le nombre de nos « questions. » Heureusement, on