Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 53.djvu/925

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que soit leur optimisme, admettent une limite à la productivité du sol, et cette limite paraît atteinte. En 1780, le rendement par hectare était évalué à 18 hectol. 40 ; en 1850, à 23 hectol. 62 ; en 1878, à 25 hectol. 42. Ces chiffres témoignent en faveur des efforts de l’agriculture, mais jetez les yeux sur le tableau de M. Caird. Selon ce tableau, qui s’étend sur trente années, la période décennale 1859-1868 a moins produit que la précédente, et la suivante, celle de 1869-1878, a été encore moins productive. La défaveur des saisons n’a pas été étrangère à cette décroissance persistante, mais la cause est ici moins importante que le fait en lui-même, qui montre bien qu’on ne peut pas multiplier les produits à volonté. Cette faible élasticité explique aussi ce qu’on a appelé à tort la « désertion » des campagnes. C’est seulement l’excédent de l’accroissement utile à la culture qui la délaisse, c’est le superflu de la population rurale qui va grossir les villes, qui abandonne l’agriculture pour s’enrôler sous les drapeaux de l’industrie ; mais, que ces transmigrations soient volontaires ou forcées, l’équilibre n’en est pas moins rompu.

Nous serons plus court sur l’Allemagne. Pendant la première moitié de ce siècle, ce pays a constamment un excédent de blé. Dans la période décennale 1835-1845, la moyenne annuelle de l’exportation dépasse encore l’importation de près de 2,400,000 quintaux métriques ; à partir de 1860 jusqu’en 1870, les entrées et les sorties se balancent à peu près, mais depuis lors l’Allemagne se range définitivement parmi les pays importateurs. Il ne lui faut encore que 2 ou 3 millions de quintaux ; mais ce n’est là qu’un commencement, car, malgré l’émigration qui lui enlève tant de forces vives, la population, qui était, en 1840, de 32,750,000 âmes, a atteint, en 1860, 37,745,000 âmes et, en 1880, 45,194,000 âmes. On fait de grands efforts pour améliorer la culture, les progrès agricoles sont manifestes, mais le sol se refuse à suivre le mouvement rapide de la population. En Allemagne aussi bien qu’en Angleterre, l’agriculture ne fournit plus assez d’occupation aux nouveau-venus, les campagnes essaiment vers les villes, qui grandissent si vite que, par moment, la disette des logemens y devient une véritable calamité. Sous l’aiguillon de la nécessité, et avec le concours de quelques circonstances favorables, l’industrie manufacturière avait pris un vigoureux élan, mais elle dépassa bientôt la mesure, les débouchés ne s’ouvrirent pas au gré de ses désirs et maintenant elle languit, écrasée par la masse disproportionnée de ses instrumens de production.

Si maintenant nous mentionnons l’Autriche, c’est que nous avons précisément sous les yeux le discours d’un publiciste autrichien distingué dont la péroraison nous frappe : « L’Autriche est et restera un