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déficit de la production agricole intérieure. C’est une situation moins solide, surtout en temps de guerre, mais jusqu’à présent on n’en a pas trop ressenti les inconvéniens. En France, le danger est relativement faible, car nous n’avons besoin que d’un supplément modéré de blé et de viande ; mais l’Angleterre est obligée d’importer bien au-delà de la moitié de sa nourriture ; c’est une situation qui n’est pas sans péril.


II.

Nous prévoyons ici une double objection : est-il permis de parler du flot montant de la population dans un pays où elle s’accroît aussi lentement qu’en France, et puis, si réellement le nombre des habitans augmente et que les nouveau-venus s’adonnent de préférence aux arts industriels, est-ce à l’agriculture de s’en plaindre ? Au lieu des concurrens, ce sont les cliens qui se multiplient ; sa prospérité ne peut donc que s’accroître. À double question double réponse. Et d’abord, lorsque nous nous demandons si l’accroissement de la population ne dépasse pas un peu la mesure, c’est moins à la France qu’à d’autres grands pays européens que nous pensons. Mais l’Europe est solidaire ; les barrières internationales n’arrêtent ni les idées politiques, ni les influences économiques. On a vu plus d’une fois la révolution ou la réaction faire le tour de l’Europe, et en matière économique, chaque marché important exerce, on pourrait dire automatiquement, une action sur tous les autres. Tous les jours, quand la Bourse s’ouvre à Paris, la première chose dont on s’informe, c’est la cote de Londres, de Berlin, de Vienne. Puisque les restions entre les divers pays sont si intimes, jetons un rapide coup d’œil sur la situation de deux ou trois d’entre eux.

L’Angleterre est peut-être la contrée où le mouvement en question a été le plus prononcé : au fur et à mesure que la population a augmenté, l’insuffisance de la production agricole, « du blé qui a poussé dans le pays, » home-grown, disent les Anglais, s’est accrue. Jusqu’à la fin du siècle dernier l’exportation des céréales dépasse presque toujours, et très sensiblement, l’importation ; en 1750, l’exportation atteint le chiffre de 947,606 quarters (2,755,625 hectolitres), l’importation 279 (811 hectolitres) ; à partir de 1790, les entrées tendent à l’emporter sur les sorties ; bientôt la Grande-Bretagne ne peut plus se passer du froment qui a mûri dans les pays étrangers, et la quantité s’en accroît constamment, malgré les obstacles législatifs que pendant bien des années l’intérêt de la grande propriété (the lauded interest) lui oppose. En