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du choix des magistrats, il s’est formé à New-York une association très puissante de lawyers qui, à chaque élection, désigne ses candidats en déterminant son choix uniquement d’après leurs aptitudes juridiques, sans s’inquiéter de savoir s’ils sont républicains ou démocrates. C’est ainsi que, moi républicain, j’ai voté et je voterai encore souvent pour des magistrats démocrates, ou plutôt pour des magistrats qui sont depuis longtemps en possession de leurs fonctions et dont la réélection n’est qu’une simple formalité. Nous corrigeons par là dans la pratique les inconvéniens d’une institution qui peut avoir ses dangers. »

Tout en rendant justice au bon sens américain, qui sait corriger par des tempéramens l’excès du mal résultant de ses propres institutions, je ne puis pas dire cependant que cette argumentation m’ait rallié au principe de l’élection des juges par le suffrage universel, d’autant que nous aurions certainement en France le mal sans les tempéramens. Mais ces élections judiciaires me paraissent ne préoccuper que médiocrement l’opinion, dont tout l’intérêt est concentré sur deux élections : celle d’un représentant au congrès de Washington et celle du maire de Brooklyn, immense ville de cinq cent mille habitans qui n’est en réalité qu’un faubourg de New-York, mais qui a son autonomie municipale. Pour le congrès, deux candidats sont en présence : un avocat démocrate, qu’on dit un homme de mérite, et un jeune homme, fils d’un des plus riches propriétaires de New-York, et appartenant à la meilleure société de la ville, car la société élégante est en grande majorité républicaine. En général, on ne fait guère de doute que le succès du candidat républicain ne soit assuré par son immense fortune. Mais quelques esprits enclins au paradoxe prétendent que sa fortune même pourrait bien lui nuire et qu’il y a dans les rangs populaires une certaine réaction contre la trop grande influence électorale de l’argent. C’est du reste un fait assez nouveau que ces candidatures aux fonctions politiques de jeunes gens appartenant aux bonnes et relativement anciennes familles du pays, ces fonctions étant, au contraire, jusqu’à ces dernières années abandonnées par eux avec un certain dédain aux candidats issus des nouvelles couches. C’est le mouvement inverse de celui qui se produit en France. Quant à l’élection de Brooklyn, ce qui en fait l’intérêt, c’est que le maire en fonction est un des personnages importans du parti démocratique dans l’état de New-York, un des boss[1], pour me servir d’un terme emprunté à l’argot politique américain. Son concurrent est, au contraire, à ce qu’il paraît, un jeune homme que recommande surtout sa grande valeur personnelle

  1. Le mot boss était employé en particulier par les nègres pour désigner le contre-maître sous la surveillance duquel ils travaillaient.