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Destinés à naviguer en escadres, obligés à des manœuvres, soit pour offrir moins de prise, soit pour tirer parti de tous leurs canons, les navires de guerre ne pouvaient tout sacrifier à la rapidité de marche, ni adopter complètement ces formes. Cependant leur longueur double à peu près, leur largeur demeurant stationnaire. Dès 1865, le poids de l’artillerie et des blindages était tel que les navires déplaçaient 7,000 tonnes et, mesurant 98 mètres, dépassaient 9 mètres de tirant d’eau. Ce dernier chiffre était déjà excessif ; d’autre part, la charge croissante de l’armement obligeait à donner au navire des déplacemens plus considérables. Or, même le jour où les plus grands cuirassés eurent atteint 121 mètres, leur longueur n’égalait pas six fois leur largeur et il semblait naturel de l’augmenter encore, quand d’autres idées prirent faveur.

La ressource la plus ingénieuse de la science est de trouver les avantages des maux qu’elle ne sait pas détruire. Témoin des destructions causées par les rencontres fortuites des navires, impuissante à les prévenir, elle proclama le navire le plus puissant des projectiles. Le choc était un accident, elle en fit une arme. Une arme nouvelle amène une tactique nouvelle. Soit que les adversaires s’avancent pointe contre pointe et dérobent leurs flancs, soit que, s’étant dépassés sans s’atteindre, chacun d’eux tente, plus rapide en vitesse, d’arriver droit sur son ennemi encore occupé à son évolution et présentant le travers, soit surtout que dans les mêlées d’escadre ils aient à se défendre de toutes parts et à suivre une voie imprévue à travers des périls mouvans, la qualité la plus nécessaire devient dès lors la promptitude à changer de route, c’est-à-dire la faculté de giration.

Or les bâtimens en usage se trouvaient impropres à ces manœuvres et par leur longueur et par leur tirant d’eau ; un seul moyen s’offrait de réduire ces deux dimensions : augmenter la troisième, la largeur. Ce système a triomphé dans les constructions les plus récentes et donné naissance à des types courts, larges, plats de quille. Assis plutôt que plongés dans la mer, ils ont le même tonnage que leurs aînés avec 20 ou 30 mètres de longueur et 1 à 2 mètres de profondeur en moins. Avec un tirant d’eau moindre, ils atteignent un tonnage double, et tandis que l’évolution de ceux-là exigeait un cercle de 800 mètres de diamètre et de 7 à 10 minutes, elle s’accomplit dans un cercle et dans un temps d’autant plus réduits que la coque est moins profonde et moins longue. Ces avantages ont été poussés jusqu’à leurs limites dans les bâtimens construits en Russie et appelés du nom de leur inventeur popofka. Les uns, aussi larges que longs, comme l’Amiral-Popof, ont 36m,60 sur 36m,57 ; d’autres même comme le Novogorod comptent 29m,55 de l’avant à l’arrière et 30m,40 de bâbord à tribord ; ils portent des cuirasses de