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moins de quatre à six embarcations se partageant la surveillance de l’horizon. De là une marine annexe, et considérable. Mais qu’on se garde des économies faites sur la sécurité des navires. Les bâtimens de garde sont une assurance contre la perte des bâtimens de combat et il est à penser que les frais de cette assurance augmenteront. La configuration du globe ne permettra jamais à des navires de se voir à plus grande distance qu’aujourd’hui, la perfection de leurs organes leur permettra de franchir cette distance plus vite. Un avertissement donné au navire ne lui laissera plus alors le même temps pour se mettre en défense, et à moins que les moyens de chauffe et de mise en pression ne s’accélèrent dans la même proportion, un jour ce ne sera pas un, mais deux rangs peut-être de sentinelles, qu’il faudra étendre autour des bâtimens.

Ainsi se dégagent les élémens essentiels d’une marine de guerre.

Pour porter l’agression là où l’ennemi a concentré sa résistance, affronter les grosses pièces, réduire les places fortes ou défendre contre toute attaque les positions essentielles à garder, il faut des navires égaux pour la puissance offensive et défensive aux plus puissans adversaires : les cuirassés sont à la fois une artillerie de siège et sa fortification. Pour parcourir en tous temps les mers, les rendre sûres durant la paix, être présent partout où il y a des nationaux à protéger durant la guerre, chasser le commence ennemi, disputer, partout où on le rencontre, l’avantage à son pavillon, il suffit de bâtimens moins armés et moins défendus : les croiseurs sont la force destinée à tenir garnison et à faire campagne. Pour accomplir les petites opérations de la guerre, mais non les moins importantes, veiller sur les forces navales, s’exposer même à leur place, il faut enfin des navires capables de remplir le rôle de sentinelles et parfois d’enfans perdus.


III.

Employer ses forces, c’est les mouvoir. La marche des navires a une double mesure : la rapidité avec laquelle ils suivent une direction et la rapidité avec laquelle ils en changent. L’une et l’autre varient selon la puissance des moteurs, et, à moteur égal, suivant les formes des carènes. La vitesse rectiligne importe davantage aux navires de commerce faits pour unir les ports par les routes les plus courtes. En effet, dès l’avènement des paquebots, en même temps que le tonnage augmente, les flancs se creusent, les extrémités s’étendent sur l’eau, et le Great Eastern, dont la longueur atteint dix fois la largeur, semble le gigantesque modèle des proportions désormais nécessaires.