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à minuit moins un quart, afin que le banquet n’empiétât pas sur la nuit du dimanche. Rira qui voudra de ce scrupule ; je connais peu de choses qui fassent à mes yeux plus d’honneur à une grande nation dont la devise est Time is money (et qui ne dédaigne pas l’argent) que ce respect universel pour le jour du Seigneur, ce sacrifice de vingt-quatre heures par semaine à une idée religieuse. De tous les discours que j’ai entendus de neuf heures et demie à minuit, le plus remarquable à mon avis a été débité, avec un accent très prononcé, par un Allemand d’origine, condamné à mort dans son pays en 1848, et si bien naturalisé Américain qu’il a fini par devenir ministre dans l’un des précédens cabinets ; ce curieux exemple montre bien la puissance d’absorption et d’assimilation politique de la race anglo-saxonne et la force qu’apporte à l’Amérique cette infusion annuelle de sang étranger. Mais le principal intérêt du banquet a été tout simplement pour moi dans la conversation de mon voisin de table qui s’est trouvé être le maire de New-York, Le maire de New-York est un Irlandais et un catholique, le premier, m’a-t-il dit, non sans un assez juste orgueil, de sa race et de sa religion qui ait occupé cette fonction importante. Aussi a-t-il trouvé lors de son élection d’ardens adversaires et a-t-on prêché contre lui (du moins à ce qu’il m’assure) dans nombre d’églises. Cette croisade lui a fait perdre quarante mille voix et il est arrivé le dernier sur la liste de son parti. Mais aujourd’hui la question est résolue : le suffrage universel a décidé qu’un catholique pouvait être maire de New-York et on ne lui fera plus la guerre sur ce terrain.

Mon voisin veut bien entrer avec moi dans des détails qui m’intéressent infiniment sur les difficultés que présente l’administration d’une grande ville comme New-York. J’apprends avec étonnement qu’il n’a pas tous les pouvoirs que le maire d’une grande ville aurait chez nous. C’est ainsi que, pour modifier maint détail défectueux de l’organisation municipale de New-York, il faut l’intervention du congrès qui siège à Albany et du gouverneur de l’état. Or la ville de New-York (qui a été pendant longtemps fort mal administrée) est aux mains des démocrates; l’état au contraire est aux mains des républicains. De là des difficultés perpétuelles entre le gouverneur et le maire. C’est ainsi par exemple que l’administration de la police échappe presque entièrement au maire ; la police est administrée par une commission dont les membres, nommés pour un temps par son prédécesseur, ne peuvent être révoqués par lui et lui ont précisément écrit le matin même une lettre des plus impertinentes qui a paru dans tous les journaux. Le sujet de la querelle est la prétention qu’a eue le maire d’abolir dans l’administration de la police un abus qui est en usage dans toutes les administrations publiques et qui consiste à forcer les fonctionnaires de l’ordre le plus humble à prélever une retenue sur