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Dès le principe, cette guerre m’a fait horreur et m’a causé plus que de l’inquiétude, car je savais à quelle puissance formidable nous allions avoir affaire; je croyais à des combats douteux qui pourraient se terminer par notre défaite, mais je n’imaginais pas que nous allions entrer en dissolution. Jamais du reste on n’a fait la partie plus belle à un adversaire. La journée du 4 septembre est plus qu’un crime, c’est une bêtise sans nom; la république endossera la honte de la paix, — qui sera onéreuse, — qu’il fallait laisser à l’empire, que l’on eût balayé tout de suite après sans difficulté, car il était devenu impossible. La situation qui devait sortir de ce coup de violence n’était cependant point malaisée à prévoir; au point de vue de l’intérieur, en brisant la légalité, on affaiblissait l’organisation morale; en bouleversant les administrations, on détraquait l’organisation civile; quant à l’organisation militaire, tu vois ce qu’elle est devenue. C’est dans cette situation, qui serait grotesque si elle n’était terrible, que l’on s’est placé pour lutter contre un ennemi très fort, très nombreux, très discipliné, très instruit, ambitieux et vainqueur. Au point de vue de l’extérieur, de l’assistance que l’on pouvait demander aux neutres, des propositions de paix que l’on pouvait faire agréer à Bismarck, nous avons à Paris un gouvernement de fait dont la délégation est à Tours ; la déchéance n’ayant pas été régulièrement proclamée, la régence est le gouvernement de droit, l’empereur prisonnier est le seul gouvernement reconnu; le drapeau rouge est à Lyon et à Toulouse. Avec qui donc les puissances étrangères peuvent-elles traiter? Bismarck peut ne vouloir s’aboucher qu’avec l’empire, que la France ne reconnaît plus et refuser de traiter avec la république, qu’il n’a pas reconnue. C’est la nuit et c’est le chaos. Cette guerre, entreprise par un fantôme, est continuée par des ombras. Crémieux succède à Napoléon III, un vieillard tombé en enfance se substitue à un somnambule. La nation crie, pleure, se désespère, déclare qu’elle est innocente et que l’empire seul est coupable. La nation a tort ; elle a eu ses destinées entre les mains, qu’en a-t-elle fait? Nous mourrons par hypertrophie d’ignorance et de présomption. La France a cherché les réformes politiques : néant; elle a cherché les réformes sociales : néant; mais les reformes morales qui seules peuvent la sauver, elle n’y pense même pas. Si j’étais le maître, je traiterais tout de suite, quitte à subir des conditions léonines, car l’issue de la guerre ne peut actuellement être douteuse, et plus nous prolongerons la lutte, plus les conditions seront dures; puis je ferais des lois draconiennes pour organiser le service militaire et l’enseignement, l’enseignement surtout, non-seulement scientifique, mais moral. C’est la morale qui forge les caractères et ce sont les caractères qui font les nations. On ne fera pas cela, sois-en certain; on va expliquer au peuple français qu’il est