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hésitations, ils se décidèrent à y rester, la terre n’y était pas vacante. Elle appartenait en général aux tribus, et cependant, comme aujourd’hui en Tunisie, il s’y rencontrait, à l’état d’exceptions assez fréquentes, des propriétés individuelles. Le domaine du dey, ou plutôt de l’état, car le dey n’était que la personnification de l’état, échut à la France, suivant le droit des gens. C’est avec ce domaine que furent faites les premières concessions de terres aux Européens. Vers 1870, cette réserve commençait à s’épuiser. L’insurrection de 1871 permit au gouvernement français de mettre le séquestre sur les terres des révoltés et de confisquer, en définitive, à leurs dépens, par la liquidation du séquestre, 300,000 hectares de terres environ. Ce fut la dotation principale de la colonisation officielle dans la période de 1872 à 1882. Cette prise de possession d’une forte partie des terres des rebelles était rigoureuse ; mais elle était excusable, peut-être même nécessaire, pour imposer aux Arabes le respect de notre domination. On ne dépouillait pas complètement, d’ailleurs, les insurgés, on ne les privait que du tiers des terres qu’ils possédaient. Aujourd’hui, après que l’on a disposé en dix ans de 450,000 hectares environ pour la colonisation, les réserves du domaine sont de nouveau presque épuisées; voilà pourquoi l’on demande un crédit de 50 millions pour exproprier aux Arabes 400,000 ou 500,000 hectares encore afin de continuer la colonisation officielle.

On n’a pas attendu ce crédit pour recourir, dans de moindres proportions, avec les ressources plus limitées du budget normal, aux expropriations, La plupart des centres exécutés depuis 1880 l’ont été par ce procédé. Nous en trouvons la preuve dans les aveux très ingénus que contient l’Exposé de la situation générale de l’Algérie présenté par M. Emile Martin, secrétaire-général du gouvernement, à la session du conseil supérieur de 1881. Il s’agit, par exemple, d’un centre appelé le Zaccar, dans la province d’Alger : « Les retards apportés à la création, dit le rapport, proviennent de ce que les indigènes installés sur ce point n’ont pas d’autres terres. L’administration a dû entrer en arrangement avec eux pour leur faire accepter une compensation sur des terres domaniales non susceptibles d’être utilisées pour la colonisation. » Ainsi l’on a la prétention de prendre à ces pauvres gens le sol où ils sont établis depuis des générations, et on leur offre à la place, en général, des rochers, des lieux arides, éloignés de toute voie de communication. Si ces échanges encore étaient libres, mais ils ne le sont pas. On a le cœur navré en lisant ces aveux, qui sont faits avec une naïveté inconsciente. « L’expropriation se poursuit, dit-on à propos du centre de Bled-Bakhora. Le centre de Maillot ne pourra être peuplé qu’en 1882. Il a fallu d’abord dégager ce périmètre des nombreuses