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Avant que les Français missent le pied dans la régence, le commerce extérieur de cette contrée barbare était nul. Alger était encore un nid de forbans qui déshonorait et infestait la Méditerranée. Dans la période de 1830 à 1840, les importations totales s’élevèrent à 150 millions ½ de francs et les exportations totales à moins de 21 millions seulement, ce qui représente l’insignifiante moyenne annuelle de 15 millions pour les premières et de 2,100,000 francs pour les secondes. Encore n’est-ce pas là le véritable point de départ, puisque l’action civilisatrice de la France se faisait déjà sentir dans cette période décennale. Vingt et trente ans après la conquête, dans la décade qui s’écoule de 1850 à 1860, les importations moyennes annuelles montent à 125 millions 1/2 et les export allons à 29 millions 1/4 : c’est encore bien peu de chose. La lenteur des débuts est une loi de nature; nos contemporains pressés et exigeans sont toujours sur le point de l’oublier. Les anciens, qui étaient plus près des temps héroïques où se peuplèrent les contrées de l’Europe, avaient la mémoire plus sûre et le jugement plus sobre. Poètes ou historiens, Virgile ou Tite Live, ils savaient ce qu’il en coûte de temps et de labeurs pour fonder une nation. Tanta rnolis erat Romanum condere gentem ! dit l’un, Urbes quoque, ut cœtera, ex infimo nasci, écrit l’autre. Si Rome ne s’est pas bâtie en un jour, en un de ces longs jours qui embrassent des dizaines d’années, on ne doit pas s’étonner que la colonisation algérienne n’ait pas échappé à la loi universelle. Depuis 1860, le progrès est remarquable, il l’est surtout depuis dix ans. Les importations en Algérie atteignent 216 millions en 1877, puis s’élevant par degrés ininterrompus montent à 303 millions 1/2 en 1880; les exportations, de leur côté, s’élèvent à 133 millions en 1877 et à 168 en 1880. Le commerce algérien, pris en bloc, représente à peu près le quinzième du commerce extérieur total de la France : beaucoup de nos contemporains, cependant, ont vécu du temps où cette contrée était aride et presque sans culture. Il y a encore des survivans de l’armée qui débarqua à Sidi Ferruch. Tant de changemens n’ont pas épuisé, pour s’accomplir, le cours d’une vie d’homme.

Que les importations dépassent les exportations, ce n’est pas un fait extraordinaire ni regrettable. La France continentale est dans le même cas, sans s’appauvrir. Il est des raisons spéciales pour que toutes les colonies, dans la période de l’enfance et de l’adolescence, reçoivent plus de l’étranger qu’elle ne lui rendent. Elles attirent les capitaux, et c’est le plus souvent sous la forme de marchandises, d’approvisionnemens, de machines que les capitaux s’y introduisent. La métropole entretient en Algérie une armée considérable, c’est encore une source de dépenses qui permet, qui nécessite même un excédent d’importation. Il se passera vingt ou trente ans, et