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plus accentué, mais c’est le même phénomène, et nous ne croyons pas qu’il y ait lieu de s’en trop alarmer. Il est exact qu’en 1876 les Français ne formaient guère que la moitié des 320,300 Européens recensés en Algérie ; il l’est encore qu’à nos 160.000 colons nationaux on pouvait opposer 92,500 Espagnols et 25,800 Italiens, sans compter les 14,200 Maltais, les 5,700 Allemands et les nationalités diverses. Le recensement de 1881 aura constaté peut-être une plus forte proportion encore d’Espagnols et d’Italiens ; au moment où nous écrivons, les Français ne constituent sans doute que 45 pour 100 de la population européenne totale. On peut le regretter sans doute, mais ce n’est pas une raison d’excessives inquiétudes. Dans la province d’Oran, il est vrai, les étrangers dépassent les Français (69,131 contre 43,516 en 1876); la prédominance des étrangers, notamment des Espagnols, est surtout forte dans l’arrondissement même d’Oran et dans celui de Sidi-bel-Abbès. On peut regretter qu’il en soit ainsi, mais il n’en résulte pour notre colonie aucun danger prochain ni mène lointain. Nous avons su, durant les deux derniers siècles, faire de l’Alsace la province la plus française qui fût, quoique la population en fût de race allemande ; Nous gouvernons encore à Nice et dans les districts environnans une population italienne. Il n’y a pas de motif pour que les 100 ou 120,000 Espagnols et les 30 ou 35,000 Italiens fixés en Algérie nous effraient. Les Anglo-Maltais nous sont tout dévoués, les Suisses également ; les Allemands fournissent le plus grand nombre des naturalisations. Les Espagnols et les italiens finiront par se fondre avec notre population : l’école travaillera à nous les assimiler, les mariages mixtes auront le même effet.

Si l’Espagne devait, très prochainement conquérir le Maroc, si l’Italie s’était établie en Tunisie, le nombre des Espagnols dans la province d’Oran et celui des Italiens dans celle de Constantine eût pu avoir des inconvéniens pour nous. Mais la Tunisie nous est définitivement acquise, et sans rien préjuger des destinées à venir du Maroc et de la Tripolitaine, il paraît médiocrement vraisemblable que le premier vienne échoir bientôt à l’Espagne et la seconde à l’Italie. Il faudrait que ces deux puissances européennes, dont les ressources financières sont limitées et dont les armées, si bonnes qu’on les veuille estimer, sont restreintes en nombre, tinssent bien peu de compte de l’expérience des autres pour vouloir s’emparer maintenant d’un grand empire comme le Maroc ou d’une solitude immense comme la Tripolitaine. Les difficultés que nous avons rencontrées en Algérie et même en Tunisie, celles que les Anglais ont eu quelque peine à surmonter en Égypte, les sacrifices en hommes et en argent qu’une province africaine exige de ses conquérans, ce sont là des matières à réflexion ; il se passera sans doute