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plusieurs journaux et revues : le Mercure de France, la Revue des Deux Mondes et les Débats. M. Ampère lui offrit alors, pour un hiver, la place de professeur à l’Athénée de Marseille. Il accepta cette situation et fit avec succès un cours de poésie contemporaine. J’ai lu quelques morceaux écrits de ce cours; ils étaient d’une grande élévation et d’une grande nouveauté de vues ; il y avait surtout un chapitre très remarquable sur l’épopée moderne. De Marseille, le poète retourna une seconde fois en Italie. Il se confina à Pise auprès de quelques amis et là travailla à son grand poème géorgique : les Bretons. Quand il revint à Paris, il obtint, je crois, sous le ministère Villemain et grâce aux bons offices de MM. Alfred de Vigny et Dittmer, une pension de 2,00 francs[1]. Il publia son nouvel ouvrage qui le classa définitivement parmi les meilleurs poètes contemporains. Après ce grand effort récompensé par une couronne académique, il fit un troisième voyage en Italie. Il se trouva à Rome au moment de la révolution de 1848; il présenta un exemplaire de son poème au pape et reçut sa bénédiction, puis, le mouvement révolutionnaire augmentant, il passa à Naples et revint en France vers 1850, rapportant une charmante idylle en pendant à son poème de Marie, Primel et Rosa. »

Ici nous ouvrons une parenthèse. Barbier, le plus correct et le plus solide des hommes en fait de relations, n’admit jamais que l’on s’attaquât à ses amis, et Sainte-Beuve s’étant permis de fort maltraiter l’églogue en question, l’auteur des Iambes sent tout à coup sa bile s’échauffer, le coq se redresse sur ses ergots et lance au critique son défi : « Ce nouvel ouvrage, très fin de sentiment et de style et d’une grâce parfaite, valut à Brizeux des critiques injustes et du plus mauvais goût de la part de M. Sainte-Beuve. Ce critique n’avait-il pas osé

  1. Lamartine, qu’à cette époque on retrouve partout où il y avait à faire une bonne action, fut cause que cette pension s’accrut bientôt de quinze cents francs. Le poète de Jocelyn goûtait infiniment Marie. « Vous connaissez M. Brizeux, nous dit-il un jour, quel homme est-ce? il doit avoir de la fortune; les vers ne sont jamais un gagne-pain. — De la fortune! pauvre Brizeux, il a pour vivre une pension de deux mille quatre cents francs qu’il touche, je crois, moitié sur les fonds de l’instruction publique et moitié sur la caisse de l’intérieur. » À cette révélation inouïe, Lamartine eut un sursaut. Je le vois encore se levant de son fauteuil et arpentant la chambre en s’écriant les bras en l’air : Deux mille quatre cents francs! un pareil poète! Il réfléchit un moment, puis reprit: « Pensez-vous qu’il me soit permis d’intervenir pour améliorer cette situation? » J’allai en causer avec Barbier et trois jours après nous vînmes ensemble, mais le cher grand homme n’avait pas attendu si longtemps, et lorsque Barbier lui tendit la main en le remerciant de sa bonne volonté : « J’ai vu les ministres, nous dit-il de sa belle voix résonnante et de son bon sourire. Il est convenu qu’à dater du mois prochain, la pension de M. Brizeux sera augmentée de quinze cents francs. »