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CESAR.

Voici Calphurnia. Souvenez-vous bien d’elle en courant, touchez-la ; Car nos pères l’ont dit : Toute femme stérile Qu’à la main, en ce jour, frappe un coureur agile, Voit le charme fatal fuir son flanc désolé.

ANTOINE.

César est obéi quand César a parlé. Je ne manquerai pas de toucher Calphurnie.

CÉSAR.

Allez, n’omettez rien de la cérémonie.

UN DEVIN, dans la foule.

César !

CÉSAR.

Qui m’a nommé?

LE DEVIN.

Crains les ides de mars, César!


C’est une grande question dans notre littérature dramatique et qui de jour en jour va son chemin que celle de traduire Shakspeare au théâtre. Comment s’y prendre et nous y prendre pour l’y amener? car il y viendra quoi qu’on dise et malgré la résistance des administrateurs; ainsi le veut cette loi du progrès qui, de 1717 à 1882, s’impose à nous. Les imitations de Shakspeare que l’on croyait avoir retrouvées en plein XVIIe siècle dans l’Agrippine de Cyrano de Bergerac, sont en réalité des imitations de Sénèque. C’est Voltaire qui, le premier, engagea la querelle timidement et sans le comprendre de front. Vient alors Ducis, qui fait applaudir Hamlet par « les petits marquis et les grands flandrins de vicomtes. » En 1776, la traduction de Letourneur paraît sous les auspices du roi de France et de la cour et comme un hommage international au génie. Voltaire s’effraie de ce mouvement qu’il a créé et qui le déborde. Il craint pour Corneille, pour Racine, et surtout pour lui-même, car il comptait bien être seul à exploiter sa découverte, et du moment que le public s’en mêle, Shakspeare n’est plus qu’un sauvage et qu’un saltimbanque « qui a des saillies heureuses. « Il le dénonce à l’Académie française (25 août 1776), et l’Académie, à sa mort, lui donne Ducis pour successeur (4 mars 1779). « Mais le Shakspeare qu’on applaudit est encore plus loin du vrai que celui de Davenant et de Dryden ; c’est un Shakspeare qui a fréquenté les salons, qui