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Le poème de Lazare nous raconte les misères de la vie de travail en Angleterre, mais sans aucune vérité d’impressionnisme. Et comment observerait-il, quand il ne s’en donne même pas le temps ! Déjà sur le paquebot, les vers débordent ; tout ce qu’il rencontre, aperçoit, tâte ou renifle, il le met en rimes à l’instant avec cette fougue hâtive du Parisien farci d’idées préconçues et déballant sur l’heure toute sorte de préjugés qui font partie de son bagage comme ses chemises et ses chaussettes. D’autres voyageront pour leur agrément ou leur instruction, il semblerait que Barbier ne voyage que pour placer ses colères, dût-il même y avoir quelque ridicule dans ce personnage de Jérémie cosmopolite. Il est possible que, soixante-dix ans plutôt, — de 1808 à 1812, — au moment où le travail humain commençait à céder la place au travail des machines, quelques-unes de ces haines décidément trop vigoureuses eussent trouvé leur raison d’être ; mais alors que Barbier proférait ses anathèmes, un quart de siècle s’était écoulé et une nouvelle génération s’était levée, la grande génération du reform-bill, qu’il passe sous silence pour ne s’occuper que de cette population misérable qui grouille nuit et jour dans certains quartiers de Londres, comme si par ces côtés de la prostitution et de l’ivrognerie toutes les capitales ne se ressemblaient pas. Il faisait aussi la part trop belle à la réplique. Car on pouvait lui répondre que sur ce point-là Paris et Londres étaient à deux de jeu. Les Anglais ont le gin, nous avons l’absinthe ; pour la pitié des choses humaines notre Charenton vaut leur Bedlam, et quant à la prostitution errante sur les bords de la Tamise, il ne convient pas aux nymphes de la Seine de jeter les hauts cris à son sujet. Ces hétaïres ivrognesses représenteraient, à l’en croire, la majeure partie de la population ; on dirait qu’il voit en elles le type national, oubliant ou négligeant de gaîté de cœur Clarisse Harlowe et Kitty Bell. Cette rage de tout invectiver à rebours éclate à chaque vers et souvent même en très beaux vers dans la Lyre d’airain, les Mineurs, les Belles Collines d’Irlande; mais où pareil excès ne se comprend plus, c’est lorsque Barbier maudit l’Angleterre pour ce qu’il appelle ses profanations et ses sacrilèges envers la nature. Que l’on reproche à l’Angleterre son mépris de la vie humaine, passe encore, mais accuser de tels méfaits la terre du pittoresque et du sport, méconnaître à ce point sa religion des bois, de la montagne et de la lande qu’elle tient des Germains de Tacite ses ancêtres, il faut en vérité n’avoir jamais ni visité ses parcs ni parcouru ses grands lacs, ni s’être rendu le moindre compte de ses goûts aristocratiques. Même torrent déclamatoire dans la pièce intitulée : Westminster, mêmes apostrophes imméritées. Il cherche Byron sous les voûtes de la nécropole, et ne l’y trouvant pas, brandit ses étrivières :