Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 53.djvu/72

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lorsque, au commencement du dîner, le gouverneur de l’état de Rhode-Island le prie de vouloir bien dire les grâces. Quelques minutes de conversation avec lui me détrompent bientôt ; c’est l’évêque catholique que le gouverneur, tout bon protestant qu’il soit, a invité, et personne ne s’offusque de lui voir faire acte d’évêque devant une assistance dont la grande majorité ne partage pas sa foi. Je profite naturellement de ce voisinage pour m’instruire de la situation des catholiques aux États-Unis. Depuis plusieurs années, leur nombre va croissant. À l’avant-dernier recensement, ils étaient déjà quatorze millions et composaient la plus nombreuse des églises chrétiennes ; celle qui venait immédiatement après ne compte que onze millions d’adhérens. Je ne sais pas le chiffre du dernier recensement, mais il doit être certainement plus considérable. « Nous nous multiplierions plus rapidement encore, me dit l’évêque, si nous ne perdions un assez grand nombre d’enfans. En effet, parmi ces enfans vagabondant et mendiant par les rues qui sont recueillis par les sociétés charitables, il y en a beaucoup qui sont fils d’émigrans irlandais, et comme presque toutes ces sociétés sont protestantes, beaucoup d’enfans cessent d’être élevés dans la foi de leurs parens. Les protestans sont plus riches que nous, ajoute-t-il, et l’exercice de la charité leur est plus facile. — En effet, lui dis-je, sachant que ce sont les Irlandais et les Allemands qui forment le principal noyau des catholiques, et qu’ils sont naturellement moins riches que les familles établies depuis longtemps dans le pays, je me suis plusieurs fois demandé comment les catholiques pouvaient subvenir à l’érection et à l’entretien de ces églises qu’on voit en si grand nombre, et quelques-unes si somptueuses, dans toutes les villes. — Par le grand nombre des petites souscriptions, me répondit-il. Bien qu’à New-York, à Boston et ailleurs, il commence à y avoir des fortunes assez considérables parmi les catholiques, cependant on peut dire que nos églises et nos chapelles sont construites sou par sou. Parfois nous nous endettons. C’est ainsi que la chapelle de Newport que vous avez pu voir (très jolie chapelle en effet par parenthèse, et remplie le dimanche) n’est pas encore payée. Mais cependant nous finissons toujours par nous tirer d’affaire. — Et quelles sont, lui demandai-je, vos relations avec les pouvoirs publics ? Avez-vous à vous en plaindre ou à vous en louer ? — Ni l’un ni l’autre, me répondit-il, et cela tient à ce que, comme catholiques, nous ne comptons pas plus dans un parti que dans un autre. En fait, les Irlandais sont presque tous démocrates, mais c’est comme Irlandais, ce n’est pas comme catholiques. Au contraire, beaucoup de catholiques allemands sont républicains. Nous n’avons donc pas, comme évêques, intérêt à voir au gouvernement plutôt un parti qu’un autre. Et comme nous jouissons d’une liberté absolue, nous