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Dans d’autres pays, il aurait été déjà absorbé par quelque puissant voisin. Mais, en Amérique, il est protégé par son ancienneté, car il est un des treize états de l’Union primitive, et par des souvenirs historiques dont il n’est pas médiocrement fier. Newport a été en effet le lieu de (débarquement de l’armée de Rochambeau. Peut-être ne faut-il rien moins que ce souvenir pour le défendre aujourd’hui contre la concurrence de la nouvelle ville industrielle de Providence, le Saint-Étienne des États-Unis, qui lui dispute l’honneur d’être le siège du gouvernement de l’état. D’après la constitution de l’état de Rhode-Island, les assemblées législatives doivent siéger tantôt à Newport et tantôt à Providence. Aussi est-ce à Newport que nous avons été d’abord reçus et harangués dans une sorte de corps législatif en miniature qui ressemble fort à une salle de conseil-général. Mais c’est à Providence que va avoir lieu le banquet officiel. Celui qui nous est offert le second jour de notre séjour à Newport, dans un club fort élégant, a, au contraire, un caractère tout privé, et l’on s’excuse même auprès de nous d’avoir été obligé par convenance d’inviter : so much official people. La séparation entre le monde officiel et le monde élégant, qui tend à s’accentuer chez nous, existe depuis longtemps aux États-Unis, et je ne saurais rendre l’inflexion de voix avec laquelle une habitante de Newport m’a dit : « C’est mon boucher qui est maire. »

A Providence, nous ne trouvons pas ces nuances, et notre réception est tout officielle. La course rapide que nous avons faite par une pluie battante à travers les établissemens publics et les principales manufactures de la ville s’est terminée par une visite à une institution des plus américaines, une école supérieure, high school, où l’instruction est donnée en commun aux garçons et aux filles de quatorze à dix-huit ans. Dans une grande salle dépendant de cette institution, on a réuni non-seulement les élèves de la high school, mais ceux des autres écoles de la ville : en tout six cents garçons et six cents filles. Au moment où nous entrons, les six cents garçons battent des mains; les six cents filles agitent leurs mouchoirs. On nous harangue. M. Outrey répond en notre nom, mêmes manifestations; un des descendans du général Lafayette adresse quelques mots aux enfans, reprise d’enthousiasme : enfin nous sortons, les douze cents mains applaudissant et les six cents mouchoirs s’agitant toujours. A le raconter ainsi, cela peut sembler comique. A le voir, c’était très touchant et je gage qu’il n’y a pas un d’entre nous qui ne se soit senti ému.

Le soir, au banquet officiel, on m’annonce que je serai assis à côté de l’évêque. Je ne doute pas que ce ne soit l’évêque méthodiste ou celui de l’église épiscopale, et je me confirme encore dans cette idée