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les préférences de son esprit. Il a passé près de la moitié de sa vie en Allemagne, il s’y était acclimaté, il s’y trouvait bien, mais c’était tout, il n’est pas devenu Allemand. Il connaissait admirablement la Prusse et il avait des raisons de l’aimer. Il avait marié l’une de ses filles à un officier prussien de mérite et d’avenir, M. de Zedlitz, aujourd’hui général-major. La terre seigneuriale qu’il avait acquise à Cunnersdorf, près de Gœrlitz, lui plaisait beaucoup. Pendant le trop court séjour que j’y fis en 1869 et qui m’a laissé les plus intéressans souvenirs, il m’expliqua avec une charmante ironie les privilèges dont il jouissait en sa qualité de propriétaire de bien noble. Il avait le droit de surveiller l’école et son mot à dire dans la nomination du pasteur. Il devait entendre les sermons d’épreuve, consulter le sentiment du troupeau. Étant catholique, il s’était déchargé de ce soin sur un délégué, choisi parmi ses voisins. Il avait également le droit de police, qu’il faisait exercer par son fermier. Il était tenu d’arrêter les rôdeurs ou les ivrognes qui troublaient la paix publique. Il me montra sa prison, je puis assurer qu’elle était vide ; je n’y aperçus qu’un sac de charbon.

Malgré les attaches qu’il avait en Prusse, M. Nothomb, qui avait été nommé baron en 1857, continua toujours de voir le monde et l’Allemagne par les yeux d’un bourgeois roman, ami des solutions claires simples et nettes, préférant la ligne droite aux courbes les mieux combinées, ne cherchant pas midi à quatorze heures, n’aimant pas que les poires tombent trop loin du poirier, estimant que toutes les fois qu’il y a conflit entre la logique et l’histoire, c’est la logique qui doit avoir le dernier mot. Il était convaincu qu’on ne trouverait jamais mieux que le code Napoléon et que la monarchie parlementaire ; hors de là il ne voyait que confusion et gâchis. Il jugeait bien les Allemands, il appréciait leurs qualités, il leur rendait cette justice que, s’ils s’accommodent facilement du régime du bon plaisir, c’est à la condition que le despotisme ait des allures patriarcales, qu’autrement ils ne le supportent pas longtemps, qu’ils exigent des compensations et qu’ils savent se les procurer. Mais il leur reprochait de vivre dans les contradictions comme le poisson dans l’eau et d’avoir le goût du compliqué. Il leur reprochait aussi de vouloir être originaux en politique, de répudier systématiquement toutes les idées et les institutions françaises ou belges. Un jour que nous avions dirigé notre promenade du côté d’un ancien moulin à vent, qu’on avait essayé de convertir en tour féodale et qui n’était ni tour ni moulin, il me dit : « Les Allemands se piquent de ne rien emprunter aux autres, de tout inventer ; on n’invente pas plus en politique qu’en amour. Il n’y a qu’une manière d’être libre de même qu’il n’y aura jamais qu’une façon de faire les enfans. « 

La première qualité du diplomate est la liberté de l’esprit et du jugement. Il peut aimer, il peut haïr, mais il faut que le désir et la joie de