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diplomate comprend trois parties bien distinctes et également importantes : l’information, le conseil et la négociation. Le représentant d’un petit état neutre n’est pas appelé souvent à négocier; mais quand ce petit état est une Belgique, dont l’existence est étroitement liée au système général de l’Europe et à qui l’isolement serait funeste, il lui importe beaucoup d’être toujours bien informé et toujours bien conseillé. Pendant trente-six ans, on a su exactement à Bruxelles ce qu’on avait à attendre ou à redouter du gouvernement prussien. On avait à Berlin une sentinelle toujours attentive et toujours clairvoyante, un homme d’un jugement suret prompt, dont les avis et les conseils inscriraient une confiance absolue.

Ce fut surtout après Sadowa et pendant le sourd conflit qui était le prélude d’une lutte ouverte que M. Nothomb redoubla d’attention; il ne cessa pas un moment de veiller au grain. Comme l’a si bien dit M. Rothan, « il avait l’ouïe trop fine et la vue trop pénétrante pour ne pas se rendre compte de la partie qui se jouait entre la France et la Prusse aux dépens de son pays. Il lisait dans le jeu du ministre prussien; il savait que la Belgique était son atout principal et que s’il mettait peu d’empressement à s’en dessaisir, les circonstances pourraient bien un jour ou l’autre être plus fortes que son habileté. » M. Rothan a raconté aussi comment le baron Nothomb, pour couvrir son pays contre de fâcheuses surprises, imagina « de le placer par des liens de famille sous l’égide personnelle du roi de Prusse. « Il partit incontinent pour Bruxelles, et sans prévenir sa cour ni son gouvernement, il dit à brûle-pourpoint au comte de Flandre, qui avait peu de goût pour le mariage : « Il faut vous marier, monseigneur. — Peste ! et avec qui donc, je vous prie ? — Avec la princesse Marie de Hohenzollern ni plus ni moins. — La connaissez-vous? — Non. — Eh bien, alors? — Je suis renseigné, je vous la garantis charmante. » En me contant cette histoire, M. Nothomb y ajoutait un détail piquant. Le comte de Flandre, qui soupçonnait que son mariage agréerait médiocrement à l’empereur Napoléon, tenait à le lui annoncer lui-même de Berlin. Craignant de ne pas recevoir de réponse, il désirait qu’on ne sût pas qu’il avait écrit et que sa lettre ne passât point par les mains de l’ambassadeur de France. Il demanda à M. Nothomb s’il se chargerait de la faire tenir au destinataire par une voie sûre et secrète. M. Nothomb lui en donna l’assurance et il jeta la lettre dans la première boîte qu’il rencontra sur son chemin. Peu de jours après, la réponse arrivait, ce qui prouve que les moyens les plus simples sont quelquefois les meilleurs et que, dans certains cas, les princes inquiets pour la sûreté de leur correspondance feront bien de recourir à la boîte.

Toutefois, le ministre de Belgique connaissait trop son monde pour se flatter que le mariage dont il s’était avisé fût une garantie suffisante; si M. de Bismarck avait jugé qu’il fût de son intérêt de livrer la