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Nemours ; d’ailleurs, elle espérait toujours que, sans avoir recours à la justice, elle obtiendrait de sa loyauté la légitimation de son fils ; mais enfin, toutes les illusions tombant une à une, elle cita l’infidèle, le 24 janvier 1558, à comparaître devant l’official de Paris. Nous employons les propres expressions de sa requête : elle se porta demanderesse « pour promesse de présent, et mariage consommé. » Eustache Du Bellay, évêque de Paris, confia l’instruction de la plainte à Jehan Picot, président de la chambre des requêtes, et à Étienne Dugué, conseiller au parlement, en leur adjoignant comme suppléant Florent Regnard, conseiller au parlement. C’est devant eux que comparurent, au mois de mars suivant, les nombreux témoins appelés par Françoise de Rohan.

Dans le premier enivrement d’un amour partagé et si longtemps contenu, Françoise et le duc avaient commis bien des imprudences ; bien des oreilles avaient entendu ce qu’elles n’auraient pas dû entendre, bien des yeux avaient vu ce qu’ils n’auraient pas du voir. Pour forcer le duc à une tardive réparation, Françoise se trouvait ainsi réduite à faire preuve de son propre déshonneur. De nos jours, le huis-clos met une sourdine à certaines révélations trop libres, il en interdit la publicité. Il n’en fut pas de même dans cette cause : un minutieux procès-verbal, venu tout entier jusqu’à nous, relate une à une, avec toute la crudité du langage de l’époque, les dépositions identiques de ces témoins. Tout en dévoilant les fréquentes défaillances de la plaignante, ils affirmaient en même temps avoir entendu les promesses du duc, qui, si elles n’excusaient pas la faute, l’expliquaient au moins et l’atténuaient. Françoise de Rohan, suivant l’expression brutale mais trop vraie de Saint-Simon, « vida donc tout le sac de sa honte. »

Les derniers témoins produits par Françoise ayant été entendus dans le mois de mai, la cause resta en l’état jusqu’au moment où le coup de lance de Montgomery vint déplacer toutes les situations. L’avènement de François II et de Marie Stuart rendait les Guises maîtres absolus de la France. Le duc François s’était fait donner le commandement des armées, le cardinal de Lorraine avait pris les finances : « Il est pape et roi, » écrivait l’ambassadeur toscan Ricasoli. Les Bourbons avaient été écartés du conseil ; le roi de Navarre allait accompagner la reine d’Espagne jusqu’à la frontière de France ; Condé allait à Gand ratifier le traité de Cateau-Cambrésis, et Charles de Bourbon se retirait de la cour, « ne voulant plus, écrivait-il, se trouver avec ces gens-là. » Le duc de Nemours, le bras droit des Guises, avait donc la partie belle, non-seulement pour se défendre, mais pour reprendre l’offensive. Peu de jours après la mort de Henri II, il demanda à être entendu par les délégués de l’évêque de Paris et comparut assisté de Me Denis Cordonnier,