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le monde s’acharnait à coups de pieds et de toutes les façons. Enfin on s’aperçut de sa présence, et un peu d’ordre se rétablit. L’Arabe maître du logis cessa de frapper, et lui expliqua, au milieu d’injures qui lui venaient sans cesse à la bouche, qu’il était couché, ainsi que sa femme, comme d’ordinaire ; son beau-père et sa belle-mère dormaient à leur place accoutumée, un Arabe de passage était son hôte et dormait par terre dans un coin de la pièce. À un moment, sa femme lui dit : « Le lit est bien étroit, va donc coucher à terre ; on est mal. » Lui, sans penser à rien, s’alla coucher sur la natte près de son hôte ; la femme resta seule dans le lit, un lit étroit, en effet, composé d’une planche et de couvertures. Au bout de quelque temps, il entendit ouvrir la porte et une voix dit : « Le burnous de ton frère est là. « C’était une phrase convenue ; la femme répliqua : « C’est bien. «  Le mari vit alors vaguement, de son coin sombre, entrer un homme qu’il ne put reconnaître. Il attend un peu, se lève, surprend sa femme ; tout le monde se lève, les voisins accourent, l’amant est saisi, jeté à terre, et du pied et du poing, chacun de le meurtrir au mieux de ses moyens, — le beau-père aussi ardent que personne, — et de lui donner de tels coups qu’aucun Européen n’y aurait résisté. Dans son coin, l’hôte de la nuit, sans prendre part à la bataille, se lamentait à haute voix et déplorait la mauvaise fortune qui l’avait fait s’arrêter dans cette maison maudite.

Les choses en étaient là quand B… était arrivé ; l’amant, souillé de poussière et roué de coups, râlait à terre. Il eut toutes les peines du monde à les convaincre qu’il ne fallait pas l’achever, mais le livrer à la justice, et plus de peine encore à le leur faire abandonner pour qu’il l’enfermai provisoirement dans un magasin inoccupé du bâtiment. Comme ils ne voulaient pas, il leur permit de l’attacher eux-mêmes et là encore se produisit un fait qui donnera une idée de la férocité dont ces gens savent user sur les vaincus. Pendant qu’un d’eux liait les mains derrière le dos à l’homme qu’on avait remis debout sur ses jambes, un autre, se baissant, lui tirait brusquement les pieds en arrière et le malheureux tombait d’une pièce, tout de son long, tout de son poids, sur sa figure, qui s’écrasait.

Arrivés au magasin, ils l’attachèrent à une poutre. Le mari disait : « Voilà un visage à vouloir me remplacer près de ma femme ! » Avant de le laisser, il voulut le fouiller, il trouva dans sa poche un petit miroir commun, objet qu’on ne trouve guère sur un Arabe et qui montre le soin que celui-ci prenait de son apparence. « Un miroir pour une face pareille ! » dit le mari, et, le mettant au fond de sa main, il en souffleta si rudement le prisonnier que l’objet lui vola en éclats sur la joue.

La femme et son amant furent conduits à la ville et mis en prison ; mais huit jours ne s’étaient pas écoulés que le mari réclamait l’infidèle