Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 53.djvu/63

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’on peut bien lui passer quelques fantaisies, fussent-elles un peu dispendieuses. Qui sait ? peut-être dans trois ou quatre cents ans admirera-t-on l’hôtel de ville de Philadelphie comme un spécimen de l’art américain au XIXe siècle.

L’hôtel de ville de Philadelphie est l’exemple le plus éclatant du luxe déployé en Amérique dans les constructions publiques. Girard-College peut servir d’exemple du luxe déployé dans l’installation des institutions privées. L’origine de cette institution remonte, chose rare en Amérique, à la libéralité d’un Français, Stephen Girard, qui avait amassé une fortune considérable dans le commerce au long cours et dans la banque. Stephen Girard mourut en 1830, laissant la plus grande partie de cette fortune à la ville de Philadelphie sous la condition, entre autres, de fonder une institution dans laquelle seraient élevés huit cents orphelins. Celui-là était bien un disciple, sinon de Rousseau et du Contrat social, du moins de Montesquieu et de Voltaire. Aussi avait-il stipulé dans son testament que le programme des études imposé aux enfans de l’orphelinat ne comporterait aucune instruction religieuse, et pour mieux assurer le respect de sa volonté, il avait prescrit qu’aucun ministre d’aucun culte ne serait admis dans l’intérieur du collège. Cette volonté a été scrupuleusement respectée et jamais ministre d’aucune religion n’a franchi le seuil du collège. À la bonne heure ! diront quelques-uns, voilà un excellent exemple d’enseignement laïque, et puisque cela est mis en pratique depuis cinquante ans aux États-Unis, il n’est donc pas si monstrueux de vouloir chasser l’enseignement religieux des collèges de France. Patience ! cette idée de l’enseignement purement laïque est, au contraire, tellement à rebours des sentimens d’un grand nombre de citoyens que la difficulté a été tournée par un procédé ingénieux. Une vaste salle de réunion a été construite tout exprès en dehors des bâtimens du collège, et avec le consentement de la commission d’administration, quelques habitans zélés de la ville de Philadelphie se relaient pour venir tous les dimanches à tour de rôle y tenir ce qu’on appelle dans les pays protestans une école du dimanche, c’est-à-dire lire aux enfans la Bible et l’Évangile, réciter des prières et chanter des cantiques. La volonté de feu Stephen Girard est respectée, quant à la lettre ; quant à l’esprit, c’est une autre affaire. N’est-ce pas à peu près le contraire de ce qui se passe dans la direction des collèges en France ?

De l’intérieur de Girard-College, j’ai pu voir les murs d’une autre institution, dans laquelle j’aurais bien voulu pénétrer également, une école de médecine pour femmes. Faute d’avoir le temps de la visiter, j’ai demandé quelques renseignemens à un des membres de notre comité de réception, qui était précisément médecin et de plus