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ait trouvé à Tunis le sort moins implacable. Avant l’occupation, une troupe française, venue de Carcassonne, s’établit dans la capitale. Le chancelier du consulat, protecteur officiel de ses nationaux, dut quitter sa loge, le premier soir, pour aller séparer sur la scène la première chanteuse et le ténor qui se battaient. Lorsque j’étais à Tunis, la troupe était italienne, et elle ne rencontra pendant tout son séjour qu’un public rare et peu indulgent.

Quelquefois aussi, Tunis a le bonheur de posséder des amuseurs de passage. Un dimanche de ce printemps, la ville entière était préoccupée d’une u grande solennité aérostatique » organisée par M. A.., administrateur de M. B.., selon la teneur des cartes qu’il distribuait dans la capitale. B... était le gymnaste qui s’accrochait à la montgolfière et se faisait emporter par elle. Avec son administrateur et son ballon, il va d’escale en escale, sur les côtes de la Méditerranée. — La foule est grande sur les terrasses avoisinantes, les vêtemens de fête des juives, bleus, roses et or, couronnent les murs blancs. Les vrais spectateurs, ceux qui veulent voir de près, sont admis dans l’enceinte d’un ancien théâtre qui a brûlé; une corde sépare les places d’honneur, où vingt personnages importans sont assis sur des chaises, de la multitude du populaire debout. Des soldats tunisiens rangés en ligne maintiennent l’ordre; des soldats français retiennent la masse à demi gonflée du ballon. Un foyer maçonné, allumé au milieu de son enveloppe, chauffe l’air qui le fera s’élever. Quand il se dresse enfin tout à fait, les privilégiés sont admis à examiner l’intérieur par un trou rond ménagé exprès dans l’enveloppe, et chacun va voir que dedans il y a beaucoup de fumée. L’administrateur s’agite; B.., vêtu de blanc avec un grand col bleu, pareil à un canotier de la Seine, ôte son chapeau et prononce un boniment court et fort solennel, puis, tout à coup s’enlève de terre, lui et son ballon, avec une rapidité vertigineuse. En une seconde, cette masse énorme qui se balançait sous nos yeux et dont le faite touchait le toit des maisons, s’est perdue au fond du ciel; l’homme ne paraît plus que comme une araignée au bout d’un fil, et c’est à peine si l’on voit remuer les pieds d’un pauvre âne à grosse tête, nageant dans le vide, qu’il a attaché au-dessous de lui.

La foule quitte l’enceinte et se répand sur la Marine. C’est l’heure de la musique militaire. Là, Français, Italiens et étrangers divers se coudoient chaque jour pendant une heure ; peu d’Arabes y paraissent, surtout peu d’Arabes riches ; les voitures montent et descendent patiemment et vont jusqu’aux barrières du port, et le craquement des ressorts, à chaque fondrière dont la route est trouée, se mêle au bruit des clairons.

En somme, peu d’éclat : une population commerçante, active, où