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établir : l’art assyrien est à l’art chaldéen ce qu’est à l’art grec des Phidias, des Praxitèle et des Lysippe l’art hellénistique, comme on l’appelle aujourd’hui, c’est-à-dire l’art alexandrin et gréco-romain. Sur les chantiers de Ninive comme dans les ateliers de Pergame, de Rhodes, d’Antioche et de Rome, on déploie encore beaucoup d’activité, d’adresse et de science ; on vise même à l’originalité ; mais on la cherche plutôt qu’on ne la trouve. C’est ainsi que, dans la Grèce macédonienne et romaine, telle école se fera remarquer par une facture glorieuse et un peu théâtrale, tandis qu’une autre mettra à la mode les sujets pathétiques et qu’elle s’attachera à traduire, par la contraction des muscles, les angoisses de la douleur physique. Il en est de même en Assyrie. La facilité avec laquelle se taillent l’albâtre et le calcaire tendre a déjà permis aux artistes qui travaillent pour Assournazirpal de donner à l’ornementation des riches étoffes qu’ils figurent une finesse de rendu que ne souffrait pas, en Chaldée, l’emploi de la pierre dure ; les sculpteurs d’Assournazirpal, quelques siècles plus tard, chercheront un élément de succès dans la complication des scènes qu’ils représenteront, dans l’élégance fleurie de l’exécution et dans le détail pittoresque des paysages qui serviront de fonds à leurs tableaux. De même aussi, de Nimroud à Kouioundjik, on verra la taille des personnages s’amincir et s’allonger ; le statuaire a le sentiment et le goût d’une certaine grâce qu’il aspire à répandre dans toute son œuvre.

Il n’en est pas moins certain que ni le sculpteur grec des derniers siècles de l’antiquité ni le sculpteur assyrien n’inventent ni ne créent au vrai sens du mot. Le statuaire grec, grâce à une plus profonde intelligence des conditions de l’art et à la nécessité où il est de faire des figures nues, continue bien d’étudier le modèle ; mais, si l’on peut ainsi parler, il le regarde moins avec ses propres yeux qu’avec les yeux de ses prédécesseurs et de ses maîtres. Ce sont ces maîtres qui lui ont appris à y chercher et à y voir tels traits plutôt que tels autres et à en donner l’interprétation qui, dans son ensemble, constitue le style grec. Toute semblable est la situation du sculpteur assyrien ; mais comme il ne met en scène que des personnages habillés, il lui a été bien plus facile encore de se détourner et de se détacher tout à fait de la nature pour tomber dans la routine et dans la manière. C’est seulement quand il s’agit des animaux qu’il paraît travailler d’original, d’après l’être vivant qu’il veut figurer. Il n’a qu’à ne pas fermer les yeux ; l’animal s’offre sans cesse à sa vue dans sa franche nudité, dans la simplicité de ses attitudes toujours les mêmes et de ses mouvemens instinctifs ; il le représente donc souvent avec une vérité et une puissance singulières. Au contraire, le corps de l’homme, caché sous une longue et épaisse draperie, ne se découvre pas assez à lui pour l’intéresser ;