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c’est surtout à la supériorité de sa culture intellectuelle que Babylone a dû son influence et son prestige. En Chaldée, la plus haute situation sociale et le premier rôle paraissent avoir été toujours réservés aux membres de la caste sacerdotale, à ceux que les écrivains classiques appellent, par excellence, les Chaddéens. Ces prêtres, c’étaient les savans de ce temps-là. D’abord magiciens et astrologues, ils sont devenus bientôt, autant par curiosité que par nécessité, des observateurs attentifs et de patiens calculateurs : ce sont eux, bien plus que les Égyptiens, qui ont créé les premières méthodes, qui ont esquissé les premières théories de la science astronomique. Leur pensée hardie a même tenté d’expliquer l’origine et la nature des choses ; quoique présentées sous forme de mythes, leurs hypothèses cosmogoniques ont peut-être été, jusque sur les bords de la mer Egée, provoquer le premier éveil du génie spéculatif de la race grecque ; on croit en retrouver la trace dans les doctrines des plus anciens philosophes de l’école ionique[1].

Quand on compare l’une à l’autre l’Assyrie et la Chaldée, il est une question que l’on est conduit tout d’abord à se poser : Où a pris naissance la civilisation qui est commune aux deux peuples, mais qui, tout en restant la même chez l’un comme chez l’autre, dans ses grands traits et dans ses lignes maîtresses, présente, suivant que l’on passe de Ninive à Babylone, des couleurs ou plutôt des teintes différentes ? La réponse, aujourd’hui, ne peut faire doute pour aucun de ceux qui ont étudié ce problème. La civilisation de la Mésopotamie, comme celle de l’Égypte, a eu pour berceau la partie inférieure du grand bassin fluvial où elle s’est développée, une région dont le sol est formé de terres d’alluvion qui ne cessent de s’accroître aux dépens de la mer. Dans la vallée du Tigre et de l’Euphrate comme dans celle du Nil, ce furent tout d’abord les plaines du bas pays qui virent l’homme se dégager par degrés de la barbarie et s’essayer à la vie policée ; puis, avec le temps, dans l’une et l’autre contrée, cette culture s’étendit et gagna de proche en proche le long de ces fleuves, en remontant de leur embouchure vers leur source. La Thèbes d’Égypte ne naquit ou du moins ne grandit que bien des siècles après Memphis. De même en Mésopotamie : le siège de la royauté chaldéenne fut d’abord dans des villes qui, comme Our et Larsam, étaient voisines de la mer ; il fut ensuite porté dans l’intérieur du continent, à Babylone, puis, de Babylone, l’importance et l’ascendant passèrent à une capitale située bien plus haut, à Ninive. Les croyances et les mœurs, l’écriture et les arts

  1. C’est ce qu’a cherché à montrer M. Soury dans le premier chapitre du livre remarquable qui est intitulé : Théories naturalistes du monde et de la vie dans l’antiquité ; Paris, 1881, in-8o.