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a des bateaux à vapeur, les uns turcs, les autres anglais. Ces derniers font entre les deux villes un service hebdomadaire ; mais, malgré le pavillon qui les couvre, ils n’arrivent pas toujours à destination. Ne parlons pas des échouages qui sont fréquens dans les basses eaux ; on en est quitte pour quelques heures ou quelques journées perdues ; de bien autres malheurs menacent ceux qui entreprennent cette traversée. En 1875, un bateau anglais était mouillé près de Bassorah ; des brigands l’envahirent la nuit, tuèrent tout, officiers et matelots, enlevèrent tout ce qu’il y avait à bord d’objets de valeur, puis, avant le jour, se retirèrent et s’enfoncèrent dans le désert. En 1880, un autre bâtiment de la même compagnie fut attaqué en plein jour, sur le Tigre, par des Arabes postés dans un endroit où le rétrécissement et les détours du fleuve semblaient devoir favoriser l’entreprise. Les pillards étaient embusqués parmi les roseaux, sur les deux rives ; une grêle de balles coucha sur le pont, blessés ou tués, des passagers et des hommes de l’équipage ; le pilote était parmi les morts. À grands cris, les agresseurs s’étaient levés et couraient attendre le bateau au prochain coude du fleuve. Sans l’énergie du capitaine on était perdu ; il avait reçu trois blessures ; mais il n’en resta pas moins sur la passerelle, cramponné à son porte-voix. Par les ordres qu’il donnait au mécanicien, il put suppléer à l’abandon du gouvernail et empêcher le navire d’aller échouer sur l’une ou l’autre des rives où l’attendait l’ennemi. Lorsqu’on fut hors d’atteinte, le commandant s’affaissa, baigné dans son sang. À la suite de cette attaque, on prit des précautions militaires ; pour recommencer, les Arabes attendront que l’on ait cessé d’être sur ses gardes. Suivant la saison, le voyage de Bagdad à Bassorah dure de quatre à dix jours.

Dans un pays où l’on a si peu de relations avec le monde civilisé, un des plaisirs favoris de l’étranger, c’est la chasse. On chasse le lion, d’assez petite taille, qui n’est pas rare dans ces déserts ; mais on est mal secondé par les Arabes, qui s’enfuient au premier rugissement de la bête. On chasse le sanglier, qui pullule dans ces forêts de roseaux ; on chasse la gazelle, soit au lévrier, soit au faucon ; mais on se lasse de la chasse surtout quand on n’en partage pas les émotions avec des compagnons de son choix, auxquels on tienne par la communauté de langue, d’éducation et d’idées.

Il est, dans cette contrée, une autre chasse dont l’attrait ne le cède pas à celui de la poursuite et de la destruction des fauves, c’est la chasse aux antiquités. Cette région a été le berceau d’une civilisation qui remonte presque aussi haut que celle de l’Egypte. Quand vous traversez une partie quelconque de cette plaine sans limites, vous avez presque toujours en vue deux ou trois de ces tells ou tertres artificiels qui ont jadis servi de soutien et comme de