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Il n’y avait en tout, à Bassorah, que deux négocians français ; on y comptait de plus quelques-uns de ces protégés, comme on dit dans les échelles du Levant, qui donnent parfois beaucoup de tracas à nos agens ; ce sont ou des Européens appartenant aux petits pays qui n’ont pas de consuls dans la région, ou des chrétiens orientaux de rites divers, ou des musulmans algériens. Cependant cette colonie n’était pas assez nombreuse pour prendre tout le temps de son protecteur officiel ; celui-ci devait avoir tout le loisir nécessaire pour étudier les questions qui l’intéresseraient.

Il fallait ici, sous peine de périr d’ennui, se créer à tout prix des occupât ions, car Bassorah, par lui-même, n’est pas un séjour agréable ; ce n’est pas un de ces lieux où l’on est porté à la paresse par la douceur de vivre et de promener paresseusement ses regards sur une aimable et riante nature. Les aspects du paysage y sont monotones. Des arbres tels que figuiers, orangers, grenadiers, et surtout palmiers, il n’y en a que dans le voisinage de la ville et sur les bords du fleuve où, par place, les dattiers forment une vraie forêt, à l’ombre de laquelle croissent les céréales ; mais, partout ailleurs, la plaine s’étend immense et indéfinie, jaune et poudreuse, là où. les marécages n’y dessinent pas de larges taches vertes. L’existence est pénible, le climat est énervant et dur, surtout l’été. Pendant plusieurs mois, on ne peut habiter que le serdab, sorte de sous-sol où ne pénètre jamais le soleil. Jusque dans ces caves, le thermomètre monte quelquefois à 50 degrés centigrades. Il est arrivé au consulat que l’on trouvât la cire à cacheter fondue sur la table de la chancellerie ; les bâtons étaient réduits en une pâte molle qui collait au papier. Lorsqu’après avoir passé tout l’après-midi dans la cave on remontait, vers le soir, dans sa chambre pour s’y laver le visage, on trouvait dans sa cruche, à certains jours, une eau si chaude qu’il était impossible d’y tenir la main. Pendant l’été de 1865, la température fut particulièrement torride. Par bonheur, M. de Sarzec était absent, en congé ; mais, à son retour, il put constater, aux effets produits, qu’il n’y avait rien d’exagéré dans les récits qu’on lui faisait du supplice qu’on avait enduré. On avait compté, affirmait-on, jusqu’à 65 degrés à l’ombre. Des palmiers, dont le pied trempait dans l’eau, avaient eu toutes leurs feuilles grillées et noircies, comme par le feu ; à les voir, quelques mois après, on aurait juré que l’incendie avait passé par là.

Ce qui rend particulièrement accablante la chaleur de Bassorah et de tout le pays qui s’étend de là jusqu’au Golfe-Persique, c’est l’humidité de l’atmosphère ; celle-ci est si imprégnée d’eau qu’il n’y a point d’évaporation ; aussi la peau et les vêtemens sont-ils baignés d’une perpétuelle moiteur. La chaleur sèche de Bagdad, quoique presque aussi forte d’après le thermomètre, est bien plus supportable,