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au milieu de tous les détails de ces problèmes financiers aussi nouveaux que compliqués, avait la science profonde des affaires, la clarté d’un esprit juste et pratique en même temps que la promptitude de la décision. Il avait à choisir entre un système simple en apparence, mais dur, peut-être dangereux, — un impôt unique, une grande contribution de guerre, — et un système d’impôts variés, multiples, procédant d’une conception moins grandiose, si l’on veut, mais plus faciles à recouvrer, mieux adaptés aux habitudes des populations. Il ne délibérait pas longtemps; du premier coup, il attestait sa fidélité aux engagemens en proposant de rétablir dans le budget un puissant amortissement, 200 millions pour la dette envers la Banque, et presque aussitôt il prenait l’initiative d’une série de taxes ou de surtaxes qui n’étaient d’abord que de 488 millions, qui allaient s’élever par degrés à près de 750 millions. Il tenait à fonder en quelque sorte, à mettre dans tout son éclat a solvabilité de la France.

Assurément, là aussi, sur ces questions de finances comme sur toutes les autres, M. Thiers avait ses opinions personnelles, qu’il soutenait avec un mélange d’habileté persuasive et d’autorité presque impérieuse. Il avait dans le choix des impôts nouveaux ses antipathies et ses préférences. Il n’aurait accepté à aucun prix l’impôt sur le revenu qu’on lui proposait, qu’il considérait, lui, comme un faux progrès, comme une chimère dangereuse. En revanche, il tenait passionnément à cet impôt sur les matières premières, dans lequel il s’était flatté dès le premier jour de trouver une ressource précieuse et abondante, — qui à la vérité ressemblait à un retour offensif de la politique de protection commerciale. Il avait devant les yeux l’exemple des États-Unis qui, à l’issue de la guerre de sécession, pour éteindre une dette de près de 15 milliards, n’avaient pas craint de se hérisser de droits protecteurs, presque prohibitifs. Il ne voulait pas admettre que la situation de la France était peut-être différente, que cet impôt allait contrarier un assez vif courant de liberté commerciale, qu’il serait de plus difficile à établir avec les traités qui existaient encore. Il ne voyait qu’un fait: le trésor avait besoin de beaucoup d’argent, et une légère élévation des droits de douane pouvait lui procurer cet argent en favorisant par surcroît l’industrie nationale. M. Thiers mettait l’inépuisable feu de sa nature dans ces débats, dans ce grand travail de la création de ressources nouvelles, et tout ce qu’il faisait, tout ce qu’il tentait dans les finances comme dans les autres parties de l’administration, concourait en définitive à une œuvre unique, supérieure, condition première du rétablissement de la France, — la libération du territoire ! Pour cette œuvre, qui représentait la partie nationale de sa tâche, il était toujours prêt à prodiguer les efforts, à engager sa responsabilité