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les élections sans armistice à la faveur d’une trêve tacite consentie par les Allemands. Il agitait en lui-même toutes ces questions et il allait plus loin : il demandait à M. de Bismarck les moyens de revoir les chefs de la défense parisienne. Il rencontrait effectivement une dernière fois aux avant-postes français, aux bords de la Seine, dans une petite maison en ruine, M. Jules Favre et le général Ducrot, que le gouverneur de Paris avait envoyé à sa place, qui était fait pour représenter l’honneur militaire du siège. M. Thiers ne déguisait rien à ses deux interlocuteurs ; il ne leur cachait pas que tout avait été compromis dans les derniers jours, que ce qui avait d’abord paru possible ne l’était plus, qu’il n’y avait plus d’autre ressource qu’un court armistice sans ravitaillement, ou la convocation d’une assemblée sans armistice avec les facilités que l’ennemi laisserait aux élections. Il ajoutait que, s’il avait un conseil à donner, une opinion personnelle à exprimer, il serait, lui, pour l’élection de l’assemblée, même sans l’armistice, et pour la paix ; — que la continuation de la guerre devait fatalement aggraver les malheurs de la France et les conditions qu’on aurait à subir plus tard. M. Jules Favre ne se sentait pas de force à faire accepter dans Paris des élections sans armistice ou un armistice sans ravitaillement ; le général Ducrot répondait avec l’animation d’un soldat que ce serait une capitulation de plus, qu’on ne pouvait rendre les armes sans combat, qu’on avait le devoir de sauver l’honneur de la défense. M. Thiers quittait la petite maison ruinée du pont de Sèvres avec la conviction qu’il n’avait plus rien à faire pour le moment, et deux jours après, le 7 novembre, il traversait de nouveau les lignes allemandes, rentrant à Tours, où il avait reçu l’invitation de rester pour aider la délégation de ses lumières et de son expérience.

Ce qu’il y avait de grave dans cette rupture du 7 novembre, c’est que jusque-là c’était encore pour ainsi dire la guerre de l’empire dont on subissait la fatalité, et maintenant c’était une guerre nouvelle ou transformée, la guerre de la défense nationale, qu’on acceptait avec ses redoutables responsabilités. Le gouvernement de Paris, pour sa part, avait vu certainement avec chagrin, l’échec d’une négociation qui pouvait lui porter la délivrance. « Mon rêve de convocation d’une assemblée s’est évanoui, » disait M. Jules Favre. La délégation de Tours, au contraire, après s’être prêtée avec quelque arrière pensée aux négociations de Versailles, voyait la rupture sans peine et sans regret. Depuis l’arrivée de M. Gambetta, elle ne respirait que la guerre. Trompée un instant, dès le lendemain du retour de M. Thiers, par le brillant succès de Coulmiers, ce premier et dernier sourire de la fortune, par la reprise momentanée d’Orléans, qui en était la conséquence, elle n’hésitait plus à se jeter dans la lutte à outrance. Elle ne voulait plus entendre parler ni de négociations